2è lauréate :  Michèle Berthier

OFFRANDE

Mon cœur bat trop fort, il veut sortir de sa cage, s'enfuir. Une sueur glacée coule entre mes omoplates, pourtant je crève de chaud malgré l'atmosphère gelée qui m'entoure. J'arrive au bout de l'aventure. Étendu dans la neige, il attend, je vois l'œil brillant qui me guette, même, me pénètre, vrille jusqu'au fond de mon cerveau, il m'hypnotise. Je suis à lui. Il se délecte. Mon aventure, quand a-t-elle commencé ? Dans mes premiers souvenirs, il me fascinait déjà, personnage fabuleux, impressionnant de puissance, de force et d'intelligence. Parfois il était ridiculisé dans les histoires que ma mère me racontait, mais, par la suite, j'ai compris que ces contes servaient à éradiquer la peur ancestrale de cet être si supérieur à l'homme.

Il a bougé, insensiblement, sa large tête se redresse et ses oreilles pointent vers le ciel. Il est sublime de beauté et de souveraineté, régnant sur le monde animal. Une organisation de la communauté judicieuse, avec un équilibre établi entre vie collective et solitaire. Une reproduction permettant l'émergence des individus les meilleurs ainsi, la race ne peut que s'améliorer au fil du temps et de l'évolution de l'environnement. Depuis toujours, adulé, vénéré mais craint, tel un dieu il a régné sur l'humanité, alimentant la mythologie, la littérature, les arts mais aussi les peurs et fantasmes collectifs.

Bientôt il se jettera sur moi, ce sera la fin de mon aventure, comme je l'ai désiré. Je lui ai consacré mon temps et mon énergie. Toute ma vie a tourné autour du loup, mes rêves, mes études, mes choix, et maintenant ma mort. Mon corps se révolte, en désaccord avec mon aspiration, mes muscles se tendent, mes membres tremblent, ma respiration devient haletante, il veut fuir, mais, mon esprit déguste cet instant, ma fin prochaine, attendue et souhaitée, vaincu par l'être suprême. Je sentirai ses crocs acérés s'enfoncer dans la chair de mon cou, la carotide cédera sous la pression du coup de dent et le sang jaillira tachant de sombre sa robe si dense et duveteuse. Mes os seront broyés. Il me déchiquettera, mangera mon cœur et mes entrailles. Puis repus, le museau encore ensanglanté, il se reposera près de ma dépouille, digérera mon incursion en lui, il me possédera. Il traînera ma carcasse vers sa tanière pour nourrir quelques congénères. Plus tard, les charognards se battront pour ramasser mes quelques restes. Une chute de neige nettoiera la place. Je serai introuvable à jamais pour les miens, disparu dans le corps du loup. Mon désir réalisé. Fin de l'aventure, sans trace.

Je l'ai cherché, pendant des jours j'ai erré dans l'immensité sauvage, territoire hostile, cachant tant de pièges mortels qu'il m'a fallu déjouer pour parvenir à notre rencontre. La lutte contre le froid glaçant, la nuit surtout, les chutes de rochers, les traversées de forêts impénétrables, l'escalades de murailles infranchissables, l'affrontement de certains animaux sauvages à la recherche de quelques nourritures, et tant d'autres dangers imprévisibles. J'ai atteint son territoire. Il a senti ma présence, il m'a pisté. Nous ne nous quittons plus depuis trois jours et deux nuits. Jouant à cache-cache, il me repère toujours. C'est un grand loup au pelage noir luisant, il semble assez jeune, de haute stature, une allure majestueuse.

Épuisé, affamé, j'arrête, l'endroit me convient. C'est dans ce vallon paradisiaque, étincelant sous le soleil, entouré de grands bois obscurs, que notre face à face aura lieu. Le point final de ma vie, de mon aventure. Il ne m'attaquera jamais tant que je tiendrais debout, alors, je m'allonge sous le ciel lumineux, j'apprécie la couche moelleuse de neige sous mon dos fatigué, je me détends, je l'attends. Il est patient, il sait que je serai à lui. Il rêve peut-être tout comme moi.

On aurait pu se comprendre si nos mondes étaient moins hermétiques, il saurait que je l'admire, que j'aurai aimé être l'un d'eux plutôt qu'un homme. Plus j'avançais parmi les humains, plus le dégoût me gagnait. Leur société corrompue, consommant toujours plus au mépris de l'univers, ne croyant qu'à l'argent et n'espérant qu'en l'augmentation de leurs biens, leurs possessions illusoires, à l'image de leur pouvoir. Perdant toute humanité. Saccageant sans scrupule ce que la nature offrait pourtant de si sublime en qualité de vie, d'avenir et d'harmonie. Se bâfrant, s'empiffrant de produits divers et inutiles fabriqués en polluant l'espace, se gavant d'images, ne communiquant que par écrans interposés, s'enlisant dans le virtuel et perdant tout sens de l'altruisme. L'homme devenu, stupide, paresseux, égoïste et gras, s'empoisonnant lui-même ainsi que son environnement. En comparaison le loup le domine en tout point. J'ai effectué une thèse sur lui, son origine, sa vie. Un cumul d'interviews, de rencontres et de documents de spécialistes de tout poil, reconnaissent sa suprématie sur l'homme en de nombreuses questions. J'ai voulu quitter ce monde de dégénérés pour trouver celui noble et authentique du loup. Je l'ai approché en diverses expéditions, temps d'observation infini noyé dans des paysages d'une prodigieuse splendeur. J'ai aussi participé à des repérages, des comptages. Lors d'un de mes voyages d'études, nous observions les meutes, capturions certains individus pour les équiper d'émetteurs de géolocalisation. Ainsi, leur déplacements étaient suivis, puis analyser pour approfondir les savoirs sur leur mode de vie. Mais cela ne me suffit plus, je préfère périr dans le domaine grandiose des loups et par cette créature supérieure, plutôt que de vivoter parmi les hommes, pour mourir bien vieux dans un lit avec des piqûres, des tuyaux, des comprimés, nourri de bouillies et emmailloter de couches.

C'est l'heure de mon affrontement avec le loup, la confrontation, c'est lui le plus fort, il me vaincra, je l'accepte. Je lui fais don de ma vie.

Il l'a compris, le moment est venu, il grogne, il veut me communiquer quelque chose, quoi ? C'est un de mes drames ne pas pouvoir échanger avec cet être pourtant intelligent et sensible. Son grondement m'évoque celui de mon grand-père, le seul à qui j'ai expliqué mon projet, le seul à qui j'ai dit au-revoir, le seul qui comprenait ma passion, d'ailleurs il la partageait, d'un peu loin, c'est vrai. Il a toujours eu un faible pour cet animal, de là est née notre complicité, il m'a baptisé Moogli. C'est lui qui m'a emmené voir une réserve de loups lorsque j'étais enfant, puis notre voyage en Alaska dans les étendues sauvages et immaculées, territoire du loup. Le soir dans ce coin magnifique, féerique, apparaissaient leurs silhouettes majestueuses, élancées mais à la musculature puissante. Leurs longues pattes les propulsant en des courses rapides et infinies. Parfois, lors de nos escapades nocturnes, nous percevions leurs yeux phosphorescents nous observant sous la lune. Un mélange de peur et de plaisir m'envahissait et, également, la fierté d'approcher ce canidé mystique. D'autres fois, l'air vibrait du son clair, profond, magistral et ensorcelant de leur chant, j'en frissonnais et pleurais d'émotion.

Près de l'âtre, mon grand-père évoquait les histoires de croc-blanc et autres romans passionnants que j'ai dévoré par la suite. C'est grâce à lui que j'ai pu m'évader et vivre tant d'expéditions imaginaires puis réelles avec les loups, jusqu'à cette dernière aventure.

Le glapissement s'intensifie, de la bave apparaît aux coins de ses babines, les poils de sa nuque se hérissent, il me fixe implacablement de ses yeux jaunes, qu'il a l'air féroce ! Son train arrière ploie légèrement, son corps n'est plus qu'un concentré d'énergie, un gémissement aigu empli l'air, il va bondir. S'il savait comme j'espère ce moment, je le redoute aussi mais ...

Ça y est, ses pattes s'élèvent, je perçois une force extraordinaire, couché dans la poudreuse, j'ouvre la fermeture de mon anorak et j'offre mon cou.

Il s'abat sur moi, je suis cloué enfoncé dans l'épaisseur blanche. Son haleine chaude couvre mon visage.

Dans le silence de la mort, il me fixe implacablement de ses yeux dorés. J'entrevois un monde extraordinaire dans ces points éblouissants. Je vais bientôt y pénétrer. Dans cet instant d'éternité, un échange sublime s'établit entre nous. Un mélange de respect, d'admiration et d'amour. Je n'ai plus peur, je souris, il ouvre grand la gueule, ses crocs étincellent dans le soleil couchant mais, tout à coup, « pan » un coup de feu assourdissant résonne dans l'immensité.

DLV2020 affiche courtlet

 La 6è édition du festival "Des Livres&Vous" se déroulera
du 4 au 10 avril 2020 sur le thème:

"Fées sorcières et compagnie"

la date limite de dépôt des oeuvres littéraires à présenter
lors du concours "Court-lettrage" est fixée au
4 mars 2020

N'hésitez pas à prendre contact avec Luciane Brunner, volontaire en service civique sur cette mission. Vous pouvez la joindre du lundi au jeudi à l'UTL en appelant 04 92 51 38 94.

 Consulter le règlement du concours 

Le début d'une histoire

« Chaque fois qu’un enfant dit : « Je ne crois pas aux fées », il y a quelque part une petite fée qui meurt ». Il adorait cette phrase tirée du livre « Peter Pan » de James Barrie, son livre fétiche depuis tout petit. Depuis, il rêvait d’être écrivain célèbre, conteur de magie et de fantaisie. Mais pour le moment, à part le vent glacial qui s’engouffrait dans sa minuscule pièce à vivre nichée sous les toits
de Paris, il n’avait pas beaucoup avancé dans la vie. Il avait déjà plusieurs fois essayé de franchir le monde réel pour passer dans l’Autre. Il avait essayé l’opium et même l’absinthe car il avait entendu dire que cela faisait apparaître des fées vertes. Mais rien n’y faisait. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’à sa naissance ce n’était sûrement pas des fées qui s’étaient penchées sur son berceau
mais plutôt des trolls véreux et pernicieux...
À trop penser à sa pauvre vie désastreuse, il n’avait pas prêté attention aux grosses gouttes de pluie qui commençaient à transpercer sauvagement le toit que lui servait de refuge. Son livre préféré se retrouva trempé en quelques secondes ; trop tard pour le sauver. L’encre avait coulée et le livre était gorgé d’eau. De rage, il l’envoya s’écraser contre le mur et toutes les feuilles volèrent dans la pièce.
Cette fois, s’en était trop. Le poids de ces dernières années laborieuses et solitaires l’écrasait. Il se recroquevilla dans un coin de la pièce et se mit à pleurer. Ses larmes tombèrent sur des pages volantes devenues papier mâché. Soudain, les lettres se mirent à scintiller. Il ferma les yeux, pensant à une hallucination. Cependant, lorsqu’il les rouvrit il n’était plus dans sa chambre. Il était assis par terre, au pied d’un majestueux saule pleureur. L’herbe sous ses pieds était soyeuse, d’un vert
éclatant, tout comme la couleur des fleurs, des arbres et du ciel atour de lui.
Il lui semblait qu’il était dans un rêve tellement tout était beau et féerique...
Soudain, il sursauta. Il n’avait pas vu les deux petites créatures qui lui faisaient face. L’une était une sorte de petit troll grassouillet avec un gros nez rond et des yeux globuleux. L’autre était une jolie fée, ondulant l’air avec ses petites ailes dorées qui faisaient danser ses cheveux acajou. Tous deux lui arrivaient à peine aux genoux mais ne semblaient pas effrayés. Au contraire, ils le contemplait en
souriant. Lui-même, et malgré le fait de de ne pas savoir où il se trouvait n’éprouvait bizarrement
pas la moindre peur...
Le troll prit la parole le premier :
- Alors c’est lui le morveux qui pense qu’on est véreux ?
- Morveux ? Excusez-moi...monsieur tenta-t-il, j’ai bientôt trente ans !
Les deux créatures éclatèrent de rire. La fée, qui avait une jolie couronne de fleurs sur la tête parla d’une voix douce :
- Tu en as mis du temps pour venir. Ne pleures-tu donc jamais ?
Pleurer ? Pourquoi diable cette fée sortie de nulle part lui demandait-il s’il pleurait ? Il se gratta la tête, se pinça, s’écarquilla nerveusement les yeux pensant être en train de rêver. Rien n’y fit.
- Que... quoi ? Mais qui êtes-vous ? Et où suis-je ?
Le paysage avait beau être féerique, la situation commençait à l’agacer.
Les deux créatures se rapprochèrent : « Il n’est pas très futé » entendit-il dire le troll à la fée.
Elle prit à nouveau la parole :
- Tu es un... messager. Comment crois-tu que les contes de fées ont-ils pris vie dans votre monde ? Penses-tu vraiment que cela sort de l’imagination des humains?  Non, c’est nous qui choisissons quelles histoires sont racontées dans vos livres, et qui les écrira. Si vous les élus, êtes assez sensibles pour pleurer un jour, vos larmes vous amènent ici. Elle deviennent magiques. Votre sensibilité et votre croyance, c’est votre épreuve pour arriver jusqu’à nous. Certains ont échoué. Toi
tu as mis... un peu de temps, dit-elle dans un clin d’œil.
- Alors, je suis vraiment digne de devenir écrivain ?
Son cœur s’allégea. La situation le dépassait et pourtant au fond de lui, quoique cela puisse être, il sentait qu’elle disait la vérité et que c’était son destin d’écrire un jour.
- Bien sûr ! D’où penses-tu que vient cette obsession pour notre monde ? Nous t’avons choisis dès la naissance. Ton destin est d’écrire nos aventures, nous te donnons seulement un petit coup de pouce. Si le peuple humain ne croit plus en nous, nous cesserons d’exister...
Cette dernière phrase lui rappelait celle de son livre préféré. L’auteur de ce dernier s’était t’il déjà tenu ici avant d’écrire « Peter Pan » ? En son for intérieur il en était persuadé alors il décida de garder cette pensée positive pour lui . La fée, imperturbable, continuait de parler :
- Pour survivre, il nous faut sauvegarder l’imaginaire et le rêve chez les humains. En retour, votre vie est remplie de féerie. Nos deux mondes s’entraident à mieux vivre... mais cela doit rester secret.
- Mais comment pourrais-je écrire sur vous si je dois garder ça secret ?
Les deux créatures se regardèrent, puis la fée claqua des doigts et brusquement, il s’endormit. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il était de nouveau dans sa pièce miteuse, sous les toits de Paris. Il avait l’impression d’avoir dormi des heures, mais d’avoir fait un joli rêve. Le soleil avait reparu, il pouvait sentir sa douce chaleur à travers les tuiles pleines de trous et de mousse. Ses yeux se posèrent sur son livre favori. Bizarre. Il était sûr que ce dernier était tombé en friche lors du violent orage. Mais quand avait eu lieu cet orage ? Et comment son livre pouvait-il être intact ?
Il avait du mal à se remémorer les dernières heures. Le livre semblait différent . Il le prit dans ses mains et soudain son cœur s’accéléra. Il y avait toujours la même image féerique imprimée sur la couverture mais le tire avait changé. Il pouvait désormais y lire :
« Tome I : Chroniques & aventures du peuple de Lumis », par Thomas Kurt.
Il avait écrit son premier livre. Enfin... presque !

texte écrit par 21.CCL.Anonyme21

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Le thème choisi :

«  RETENIR L'ÉPHÉMÈRE ».

semble avoir inspiré beaucoup d’entre vous et nous offre la joie de lire vos textes.

Les textes sont consultables ICI.

Dès la délibération du jury effectuée, le palmarès sera publié ICI

 

MERCI à tous les participants

1er lauréat :  Jacques Bretaudeau

ADVENIR

Depuis combien de temps se trouvait-il là ? Qu'allait-il advenir de lui ? Il lui était impossible de le savoir. Recroquevillé sur lui-même, en position d'attente, celle que l'instinct de survie commande à tout le corps quand on se retrouve brutalement entraîné et submergé par le grand tambour battant des forces naturelles, il ne percevait qu'un écho assourdi de la vie du dehors, là où le vent fait bruisser les feuillages, là où les gens ont le cœur à l'ouvrage. Il n'était pas maître de son destin, et c'était bien malgré lui qu'il s'était fait embarquer dans cette aventure.

Il faut dire que son ascendance ne manquait pas de relief. Son père était de ceux qui, dès le plus jeune âge, commencent à regarder plus haut, tout là-haut, vers les cimes aux arêtes effilées telles des lames de rasoir, puis qui, en grandissant, se mettent à les contempler avec défi. Quand on est du pays des Écrins, les montagnes ne sont pas seulement des majestés qu'on se doit d'admirer, ce sont aussi des sommets qu'il faut conquérir, ici et ailleurs. De ses expéditions en Himalaya, son père avait autrefois ramené les souvenirs qui ne s'expriment pas, ceux que les yeux gardent pour eux derrière leur regard délavé, à jamais tourné vers l'horizon. La peur, il avait appris à la dompter, pour mieux l'écouter. Les risques, il avait appris à les calculer, pour savoir où mettre les pieds. La montagne est toujours la plus forte, disait-il. Interrogez-la sans répit, elle aura sans cesse une réponse à vous donner... L'avalanche qui vous enveloppe de son linceul blanc après vous avoir avalé en un éclair ; ne reste plus dès lors qu'à croire en une grâce du ciel, à moins d'avoir le réflexe heureux de conserver un peu d'espace autour de soi, un semblant d'oxygène, pour espérer la délivrance. Quant à la crevasse… La crevasse traîtresse et impitoyable, qui n'attend que vous, guettant avec une patience diabolique votre arrivée ; et soudain se dérobe sous vos pieds la trop fragile croûte verglacée que les bâtons n'ont pas eu le temps de sonder…

La délivrance demeurait toujours aléatoire. Et, si jamais l'accident survenait, il s'agissait avant tout de se cramponner à la vie. Tenir bon en espérant d'hypothétiques secours. Contrôler sa respiration en s'efforçant de rester lucide. Faire le dos rond en se promettant de surmonter la catastrophe. Mais, ce jour-là, la délivrance ne s'était pas produite. Une fois encore, la montagne avait eu le dernier mot. Les cimes enneigées sont d'exigeantes maîtresses : elles rechignent à partager leur amant avec l'épouse légitime. Au demeurant, celle-ci avait décidé d'affronter l'indicible malheur avec le courage résigné d'une mère. Puisque les choses avaient été écrites de la sorte, il lui resterait leur enfant. Sans doute était-ce aussi par défi qu'elle avait décidé de l'appeler Oreste. Parce que ce prénom vient d'un mot grec qui signifie « montagneux ». Parce que ce prénom est une promesse de dépassement de soi. Un appel, par-dessus tout. À aller plus loin, à aller plus haut, à aller au bout de son destin, à dérouler jusqu'à leur terme les envies les plus folles portées au plus profond de soi, quitte à en subir le harcèlement sans fin des mouches qui ne laissent pas de repos aux fronts dégoulinants de sueur sur les sentiers verticaux, sous l'implacable soleil, juste avant d'attaquer les immensités minérales et glacées, les dents serrées, la gorge sèche, juste avant que les piolets ne prennent le relais.

Le temps de la transmission était venu. Désormais, c'était à lui seul de prendre le relais. De continuer l'œuvre inachevée. Dès l'origine, sans que les choses fussent dites, il avait d'ailleurs semblé qu'il devait en être ainsi, à la manière de ces implacables héritages antiques dans lesquels la question du choix ne se pose jamais. La véritable liberté est celle de l'aventure : on a beau se dire que l'on se doit de marcher dans les traces, il y aura bien une péripétie pour faire basculer la situation, dans un sens ou dans un autre. Voilà comment on se retrouve cul par-dessus tête dans l'expectative d'une bonté de la vie, à attendre qu'elle veuille bien ouvrir la porte et laisser passer celui que le destin a installé à cet endroit. Dans le cas présent, il n'y avait que l'attente, et rien d'autre, ou presque. Au fil des jours, il avait fini par apprivoiser l'enfermement et le confinement dans cette bulle de vie encore préservée au sein de laquelle le moindre mouvement était devenu une prouesse. Ce serait bientôt son heure, ce serait bientôt son tour, et le terme de l'aventure. C'était ainsi.

Puis, subitement, tout s'accéléra, et ce fut un formidable chamboulement de son environnement immédiat. Sans qu'il fût en mesure de comprendre ce qui se passait autour de lui, il se retrouva irrésistiblement comprimé, pressé, poussé vers l'ouverture par les fulgurantes contractions de la paroi qui, tout au long de son aventure intérieure, lui avait servi de protection. La délivrance était proche. Projeté sans ménagement hors de son nid, fermement saisi par des mains inconnues, aveuglé par la lumière crue du monde extérieur, il ne put s'empêcher de crier, avant qu'un court répit ne lui fût enfin accordé au creux de deux coussins réconfortants et nourriciers qui s'offraient à lui, entre les bras de sa mère, comme une utopique providence contre les dangers de l'existence à venir, en l'absence de ce père qui ne pourrait être à ses côtés pour le guider sur les sentes pierreuses.

Alors, tandis que les palpitations de tout son être s'accordaient peu à peu avec celles qu'il percevait sous sa tête, il sentit, confusément mais sereinement, que son odyssée, ici et là-bas, plus loin et plus haut, ne faisait que commencer.

  1. Du rififi à la Pépinière
  2. Nécessité
  3. Les mal-aimés
  4. Humeurs de la Marquise
  5. Ma petite fée
  6. Marfa la Chamane
  7. Le début d'une histoire
  8. La suprême magie

La semaine DL&V risquant d'être reportée, voire annulée, nous vous proposons 8 textes qui ont retenu l'attention du Jury. Parmi eux se trouvent les 3 Lauréats. Saurez vous les trouver?

 Vous pouvez, après lecture, donner votre appréciation sous forme d'un vote "étoilé"; cela permettra de confronter ensuite vos ressentis avec ceux du jury. Bonne découverte.

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