Le panneau était pourtant clair. Un panneau danger comme ceux que l'on peut voir au bord des routes pour prévenir des chutes de pierres. Sauf que là, c'était un homme qui semblait tomber sans fin.

Danger, chute d'homme.

Le genre de panneau qui vous fait froid dans le dos, qui vous oblige à vous arrêter, à ne pas avancer plus loin, à faire demi-tour. Le genre de panneau qu'il faut savoir ne pas regarder pour continuer sa route.

On ne pourra pas dire que je n'étais pas prévenu. Mais j'ai fait comme si je n'avais rien vu. Je n'avais pas fait des heures d'avion puis des heures de marche pour rebrousser chemin au premier panneau venu.

Alors j'ai continué. Un peu moins fièrement peut-être. Un peu moins vite sûrement. Faisant particulièrement attention où je mettais mes pieds. Je savais que j'étais encore loin de mon but et que jusqu'ici bien peu de personnes avaient réussi cette expédition.

J'essayais de me concentrer sur les montagnes autour, le glacier qu'il faudrait traverser. J'étais fasciné par le bleu profond du ciel. Mais toujours à mon esprit revenait ce panneau et cette question lancinante : ça fait comment une chute d'homme ? Une chute de pierres, on connaît. C'est bruyant, ça écrase tout sur son passage, ça peut tuer aussi s'il y a quelqu'un dessous. Mais une chute d'homme ? Est-ce que le corps part d'un coup dans le vide et s'envole ? Est-ce qu'il roule, se tape, se cogne avant de demander grâce ? Est-ce qu'il se pose tout doucement un peu plus bas comme en apesanteur ? Et quand on tombe, a-t-on le temps de se rendre compte de ce qu'il nous arrive ?

Toutes ces questions tournaient et retournaient dans ma tête. Au point que j'ai oublié de faire attention où je mettais mes pieds. Une pierre a roulé, m'entraînant dans son sillage. J'ai glissé, cherché à me rattraper, à saisir quelque chose avec mes mains. En vain. Dans ma tête, il y a eu comme un éclair, une certitude : j'aillais enfin savoir ce qu'est la chute d'un homme.

Véronique

La moto était là, posée près de la boîte aux lettres.
Le conducteur l’avait bien garée, sur le bas côté de la route. Elle attendait.
L’arbre, solitaire comme elle, la couvait d’une ombre bienveillante.
Il y avait plusieurs jours qu’elle était arrêtée, à l’écart de la route 66, près de cette boîte aux lettres abandonnée. Trois, quatre, cinq jours et personne pour venir la récupérer.
Elle n’avait même pas d’antivol, comme si son propriétaire l’avait posée pour un temps très bref, le temps de se soulager ou se reposer sous l’arbre un court moment.
« Si elle est encore là demain, j’appelle le shérif ».
Irina s’inquiétait. Elle s’était déjà arrêtée, avait tourné autour du véhicule, scruté l’horizon.
Rien n’indiquait une présence, les herbes brûlées n’étaient pas hautes et ne semblaient pas avoir été foulées.
On ne la discernait pas de la route mais cela faisait bien longtemps que plus personne n’habitait dans la vieille ferme au bout du chemin de terre et alentour pas d’autres maisons, pas d’abris, rien que des plaines à perte de vue.
A proximité, l’étendue sauvage de la Route 66, en plein coeur du Texas, traversée par des camions, des voitures, des hordes d’Harley Davidson conduites par tous les touristes venus parcourir cette route mythique mais personne ne s’arrêtait jamais là.
Et justement, le fait que cette moto ne soit pas une Harley avait déjà un caractère étrange.
Irina parcourait tous les jours ce tronçon aride avec son bus de ramassage scolaire et n’avait jamais vu personne à cet endroit précis.
Le conducteur était-il tombé en panne ?
Mais, dans ce cas, il aurait déjà du revenir.
On ne laisse pas une belle moto comme celle-ci sans surveillance des jours entiers.
Non décidément, ce n’était pas normal.
D’un autre côté, si le propriétaire avait disparu, Irina songeait au plaisir que Jo prendrait à conduire un si beau cylindré...
Elle hésitait.
Qui préviendrait-elle en premier ?
Simone Delorme

 

Les plus beaux voyages...

Elle est là, rutilante, au bout du petit chemin de terre. Elle m'attend. Depuis des mois, on se prépare toutes les deux pour ce grand voyage. Je l'ai briquée. J'ai vérifié tous les niveaux, changé toutes les pièces qu'il fallait. J'ai réparé l'éclairage, réglé les rétroviseurs, fixé les sacoches de voyage, gonflé les pneus. J'ai même refait sa peinture. Du rouge, pour qu'on nous remarque de loin.

Une fois que j'en ai eu fini avec elle, je me suis occupée de moi. J'ai rangé mes affaires, en ai glissé quelques-unes dans les sacoches pour le voyage. J'ai tout nettoyé, fermé les volets. J'ai écrit quelques lettres pour prévenir ceux qui comptent pour moi que je vais partir. J'ai étudié les cartes, les plans. J'ai voulu apprendre quelques mots des langues de chaque pays que l'on va traverser. J'ai imaginé des itinéraires, des paysages, des routes, des grands espaces. J'ai confié le chat à ma voisine. J'ai vidé le frigo.

Aujourd'hui il est l'heure. Tout est prêt mais je traîne. Ai-je vraiment envie d'enfourcher ma moto pour faire ce tour du monde ? Ai-je vraiment envie de laisser là mon quotidien tranquille. Je suis prête mais j'hésite.

Mon corps et tout mon être sont tiraillés entre deux envies :
partir ou rester ? Rester ou partir ?

En un instant j'imagine le pire : la panne, le vol, la guerre, l'accident. Je veux y aller mais je ne bouge pas.

Je m'assois sous l'arbre, au bout du chemin. Et si les plus beaux voyages étaient ceux que j'imagine.

Véronique

Au bout de l'aventure.

Comment vous raconter ma vie ?
Je viens de l'autre siècle.....Environ 1900 ! ! ! Ma mémoire est un peu défaillante, vous l'accepterez facilement, je l'espère.
Sortie toute rutilante de la chaîne de montage de la maison Citroën, je m'offrais aux regards du plus audacieux, qui, selon la pancarte «B 14 décapotable, à vendre », se laisserait tenter !
Un Comte, à particule je vous prie, s'est présenté : Henri de Virieu. Il avait fière allure, un grand château, des terres, des fermes, donc des gens qui travaillaient pour lui, un tracteur et des machines agricoles en pagaille.
Moi, je suis arrivée directement dans la grande cour d'honneur, avec Henri de Virieu qui me conduisait avec dextérité. J'étais un cadeau pour l'anniversaire de son épouse Amélie.
Aussitôt, il klaxonna pour avertir de notre présence. Amélie, suivie de Charlotte, apparurent et aussitôt, les bras levés au ciel, s'extasièrent ! Pour remercier son mari, elle lui sauta au cou, tant j'étais désirée et attendue ! C'était beau à voir ! Elle se mit au volant. Son mari lui expliqua comment marchaient les vitesses et ma carrière commença.
Tous les jours, je conduisais Madame au marché ou à la visite de ses fermes, puis l'après-midi, chez ses amies, dans les châteaux environnants. J'étais bien considérée, admirée, lavée, astiquée, très fière de transporter tout ce beau monde avec leur progéniture d'adorables blondinets qui, aussitôt adolescents, se mirent à vouloir partir eux aussi avec moi !
Les destinations changèrent du tout au tout ! Ils s'exerçaient au cross. C'était à celui qui franchirait le fossé le plus profond, qui prendrait les chemins les plus caillouteux et les collines les plus pentues. Cahin, caha, toujours docile, j'avançais et jamais ne « calais ». J'étais leur « Teuf-Teuf », leur jouet, soumise à toutes les épreuves.
Amélie avait depuis longtemps renoncé à « Sa » voiture qu'elle avait confiée aux enfants. Parfois ils chantaient et riaient si fort que l'on n'entendait plus le moteur ! Puis, un jour, sous un orage terrible, je basculai, glissant sans pouvoir m'arrêter, passant sur le toit, sur les ailes, je roulai et fis des tonneaux dans tous les sens. Consciente de ma responsabilité, je calais le moteur, mesure de sécurité. Ouf ! ! !
La voiture ne prendrait pas feu et ces petits imprudents en profitèrent pour sauter à terre alors que je continuais ma course se terminant dans un précipice.
Ces jeunes fous vinrent jusqu'à moi, m'inspectèrent sur toutes les coutures ; j'étais très mal en point, cabossée, cassée, mais aucun d'eux n'était blessé.
Je restais là un certain temps, abandonnée, sans doute oubliée, exposée à toutes les intempéries. L'eau, la rouille se mirent à me ronger jusqu'à la moëlle.
Un jour, un paysan, pétri d'écologie, vint me sortir de là avec son tracteur. Il me tira jusqu'à sa ferme avant de me conduire à la « casse » : Cimetière de tous les véhicules hors d'usage. Là, je n'étais plus seule. Je finis ma carrière en ayant encore parfois la visite de quelques bricoleurs qui me désossaient au gré de leurs besoins : là des écrous, ici une aile, une roue et même une portière toute entière qui avait été jusqu'alors épargnée.
L'herbe se mit à pousser autour de moi, me caressant au gré du vent, ainsi que du buddléia avec ses longues grappes de fleurs violettes attirant les abeilles et les papillons. Petit à petit je disparus sous cette végétation sauvage et abondante, ce qui me permit d'imaginer ma seconde vie transformée en végétal !
Que rêver de plus ?

Marthe

Sous les eaux du lac

 

Le principe est tout simple : on construit un barrage qui ferme une vallée, laquelle est dépouillée de toute présence humaine antérieure, villages, bâtiments, lignes électriques etc...
Puis quand tout est vide, on remplit la grande cuvette ainsi préparée avec l'eau de la rivière qui la traverse et le tour est joué : on a un beau barrage hydroélectrique qui va produire ses mégawatts pour alimenter la grande nation avide d'énergie.

Ainsi en fut-il avec la création du lac de Serre-Ponçon qui, depuis 1959, se remplit chaque printemps à la fonte des neiges et se vide progressivement à partir de l'été pour irriguer le bassin de la basse Durance et la plaine de la Crau tout en régulant le cours de la Durance

L’hiver, le lac à son étiage , laisse apparaître les soubassements des maisons démolies ainsi que les tracés des anciens ponts, routes et chemins. Les piles hautes sur pattes du grand pont qui le traverse laissent passer la Durance qui a regagné son ancien lit.

Ce qui est pittoresque à parcourir en promenade inattendue sur le fond du lac asséché est aussi douloureux au cœur des Savinois qui ont vu leur village et leur église démolis après qu'on les ait expropriés.

L'hiver 2017-2018 a battu tous les records de basses-eaux. Certaines parties d'une voie ferrée et notamment les entrées d'un tunnel ont resurgi et beaucoup de promeneurs ont pu prendre des photos insolites des lieux découverts.

Témoin ce reste de camion oublié depuis des décennies sous les eaux du lac : il ne reste que quelques parties du moteur, une colonne de direction et un grand volant, rouillés et corrodés. Mais une certaine émotion se dégage de ce tas de métaux, qui fut un véhicule et qui a du parcourir de nombreux kilomètres dans la vallée d'autrefois.

Monique E

La déforestation

Dans la forêt primaire de Papouasie-Nouvelle-Guinée certains arbres peuvent approcher le millénaire.
Lorsque le chef de la tribu papoue Mundiya Kepanga va se rendre compte par lui-même du massacre de sa forêt pourvoyeuse de vie, lorsqu’il contemple ces énormes tas de grumes prêts à être transportés par camion avant d'être entassés sur des bateaux spéciaux en direction de la Chine, il demande à l'un des ouvriers qui a abattu les arbres de bien vouloir poser pour une photo. C'est un homme de grande taille à qui il demande de lever les mains aussi haut que possible, juste devant un des plus gros troncs coupés. L'homme n'arrive pas à toucher le haut du tronc, ce qui permet de conclure que ce tronc a plus de 2 mètre 50 de diamètre, soit environ 700 à 800 ans de vie.

Les coupes laissent de grands espace vides : les singes, oiseaux et insectes doivent rejoindre pour survivre des coins de forêt qui vont en s'amenuisant.

La population locale employée pour cette déforestation n'est pratiquement pas rémunérée et aucune infrastructure (dispensaires, écoles) n'est construite en compensation.

Dans certaines régions, la forêt tropicale a été remplacée par d'immenses plantations de palmiers à huile pour fournir nos économies en huile de palme...

Et cette déforestation sauvage est en train de gagner la forêt amazonienne, celle de Guinée Papouasie et celle du bassin du Congo, les trois plus importants poumons de notre planète.

Mondiya Kepanga a fait des tournées mondiales dans de grands capitales avec Robert Redford, impliqué lui aussi depuis longtemps dans une association de lutte contre le massacre imbécile de nos ressource vitales.

Le chef papou a offert sa plus belle coiffe ornée de plumes au Musée de l'Homme à Paris...Le film «Frères des arbres" qui raconte son combat a reçu 13 prix internationaux...

Des gens comme lui font entendre leur voix et on les écoute avec compréhension. Mais finalement on ne va guère plus loin. L'engagement total n'est pas gagné car notre génération se montre indifférente ou au mieux fataliste... et pourtant le temps presse....

Monique E

 

Le miel s'est répandu sur le prochain flottage,
Offrant le tabac blond aux grumes-cigarettes.
Les volcans, gros fumeurs, rêvent de leur passage,
En aval, impatients d'en humer les arômes.
Le convoi flamboyant, aux mains des radeleurs,
Dans sa course puissante et combien délicate,
Ranimera bientôt la rivière endormie
Par les longs mois d'hiver au goût d'anesthésie.
Cette eau, encore turbide, va vite s'éclaircir
Aux reflets mordorés du bois ensoleillé.
Désormais, elle vit, elle coule, elle est prête
À se charger de billes comme tas d'allumettes.

Gérard

Le miel s'est répandu sur le prochain flottage,

Offrant le tabac blond aux grumes-cigarettes.

Les volcans, gros fumeurs, rêvent de leur passage,

En aval, impatients d'en humer les arômes.

Le convoi flamboyant, aux mains des radeleurs,

Dans sa course puissante et combien délicate,

Ranimera bientôt la rivière endormie

Par les longs mois d'hiver au goût d'anesthésie.

Cette eau, encore turbide, va vite s'éclaircir

Aux reflets mordorés du bois ensoleillé.

Désormais, elle vit, elle coule, elle est prête

À se charger de billes comme tas d'allumettes.

 

 

 

 

Gérard

Prunelle de mes yeux

II faut les surveiller comme la prunelle de mes yeux, ces enfants !

J'aimerais être ailleurs.

Ne plus les entendre crier, pleurer, se chamailler, rire.

Que c'est épuisant de les garder !

J'aurai dû postuler pour un autre job de vacances.

Je n'ai plus la force de faire leurs changes, de les porter, de les observer, de jouer avec eux, de sourire...

Ils m'ennuient ces chérubins, je ne peux même plus regarder mon téléphone portable.

Et Ludovick m'oublie, pas de message, pas de signe de vie, rien.

Rien que ces enfants à faire semblant de les apprécier, de les aimer.

Avec ma copine Ludivine, on ne se parle plus toutes les deux.

Nous boudons.

On s'est disputé, fâché à propos de Ludovick.

Ah ! Ludovick, j'aimerai me blottir dans tes bras.

Et pourtant, il faut les surveiller comme la prunelle de mes yeux, ces enfants !

Quelle aventure...

Muriel

Le bateau échoué

Dimanche de Pâques : le petit Noé se réveille. c’est sûr, cette année encore les cloches seront passées dans le jardin de la ferme.

Noe est un enfant heureux de vivre, il aime sa ferme, ses poules, ses vaches et les grands champs de céréales autour de la maison.

Mais Noe a un désir secret: depuis qu’il a lu “l’ile au trésor”il rêve de mer.

Plus tard il se verrait bien capitaine de vaisseau découvrant des terres inconnues,ou pourquoi pas pirate?

En attendant, il construit des maquettes de navire.

Dans sa chambre,sur la commode trône son plus cher trésor:un magnifique trois mats dans une jolie bouteille de verre.Il s’endort et se réveille chaque jour les yeux fixés sur cette promesse d’aventure...

Il se frotte les yeux,enfile un pull à toute vitesse et sort en courant,les pieds nus.Et là surprise:il n’en croit pas ses yeux : les cloches l’ont exaucé.

Au milieu du grand champ des blayes......un bateau! Unvrai! un bateau posé sur un nid géant.Il ne peut pas naviguer, certes mais comme il va pouvoir s’amuser! Il fera monter à bord le chat,le chien,une poule ou deux et aussi des lapins...L’aventure va pouvoir commencer.

Marylène

SOUVENIR DE VACANCES

Cela faisait plusieurs soirées que notre père en parlait.
Cet été nous irons faire du bateau sur le lac !
Il avait acheté une barque, dont les rames entreposées sur le balcon en était pour nous la preuve !
Nos rêves d'enfants étaient désormais liés à cette aventure prochaine : ramer, pêcher, nager au milieu du lac,.,,les vacances s'annonçaient géantes !

Début juillet, la voiture est pleine, les rames sont arrimées sur la galerie, à nous l'aventure !
3 heures de routes, vite avalées à force de compter les voitures rouges, énumérer les départements, repérer les camions , les voitures étrangères...

Notre père annonce l'ultime virage avant de découvrir le lac dans toute sa splendeur.
Horreur !!, le lac est vide, pas d' eau si ce n'est un filet au milieu qu'on devine à peine dans un
canyon.

Après ce moment de stupeur nous allons jusqu'à notre campement, laissons la voiture et notre père nous mène jusqu'à l'embarcadère.

Sans le connaître , nous reconnaissons notre bateau, sa coque dorée, le liseré rouge. On ne voit que ça le reste est englouti dans la vase, prisonnier d'une gangue informe, grotesque .

En choeur nous nous mettons à pleurer mon frère est moi, nos parents essaient de nous consoler mais on les sent aussi dépités et tristes.

Fin l'aventure avant même d'avoir commenceé, ces 15 jours de vacances seront les plus sombres de mon enfance.

C'est plus tard, beaucoup plus tard que je me suis souvenue de nos délires joyeux d'enfants qui ont dures 2 mois, à partir du moment où nous avons su que nous aurions un bateau.
Cela avait alimenté notre imaginaire,, avait été source de complicité unique avec mon frère, nous avions beaucoup ri, nous nous étions disputé un peu aussi. Nous nous inventions des scénarios de pirates et naufragés. Finalement ce temps avait duré plus longtemps que les vacances elles-mêmes et se fut aussi une belle aventure !

Odile

 

Gris, gris, gris, tout est gris. Le ciel, la terre, les maisons éventrées, les épaves de voiture, les restes d’un square, de jeux d’enfants, les poutres et lampadaires à terre. Grises les rues où plus personne ne circule. Tous les habitants ont été évacués. Chaitén, Chili sud, après une éruption de cendres du volcan du même nom. Le petit bourg au bord de l’eau a été entièrement recouvert par des tonnes de poussière grise.
Nous approchons de ce qui fut le port. Les maisons sont enfoncées de travers, murs penchés, premier étage de plain pied. Les bateaux sont à demi enterrés, poupes ou proues enfoncées dans le gris solide. La vraie mer, liquide, a reculé d’au moins cent mètres. Elle se devine au loin.
Paysage lunaire par l’absence de bruit, de couleur, de mouvement, mêlé à l’évocation sinistre de la vie passée. Nous continuons le long de ce qui fut une jetée. Un faible rayon de soleil a fini par percer. Au milieu du gris, un espace lumineux : une coque de bateau, émergeant aux deux tiers. Pourquoi n’est-elle pas grise ? Est-elle venue après, pour se faire bloquer dans une mer de cendres ? Ou le propriétaire, de retour pour constater les dégâts, l’a-t-il nettoyée pour atténuer son désespoir ? Sous elle, les vaguelettes grises semblent sortir de l’immobilité.

Patricia Thuriet
UTL Gap 4 avril 2019

Disparition insolite

J'ai marché dans les dunes,
longtemps bercée par le chant des chameliers
J'ai marché dans le sable doux, sans peur du danger.

Nous nous sommes arrêtés
quelques instants
pour nous reposer
et nous désaltérer.

Autour de nous, du sable
mêlé de matières grisâtres
quelques branches éparpillées
restes d'un arbre asséché par le vent.

Un objet insolite, attire mon attention, à moitié recouvert de branches et de sable. Je m'approche. Avec précaution, de mon pied, je repousse le sable. Un appareil photo ! Surprenant, il n'est pas refermé. Qui l'a perdu? La batterie est encore active. J'appuie. Une photo apparait, la dernière prise par l'imprudent : un magnifique, énorme serpent... Alors je comprends. Le beau serpent a dû manger l'étourdi. Puis lui, l'aventure est finie, là dans les dunes, tant pis !

Nous reprenons notre marche
bercés par la mélopée du chamelier
ultime requiem.

Christiane
mars 2019

DU FOND DU VOLCAN

La photo est sombre. Les nuages montent noires lourds.
La photo est belle, immobile dans son mouvement continu
Il a suffi de cet homme, cette silhouette au bord du volcan, les mains croisées dans le dos pour ressentir toute l’interrogation humaine et oublier ce qui ne serait qu’un paysage.
Et tout d’un coup on voit l’humain, le petit humain immobile face à ces fumées qui remontent inlassables des entrailles de la terre
Fumées millénaires et en face l’aventure humaine qui n’en finit pas, qui n’en finit jamais
Et toi l’homme qui ne cesse de t’interroger
L’homme qui cherche et n’en finit pas

Elisabeth

Cimetière de voiture

Australie. Sur la route droite et interminable qui mène à Alice Springs, Thomas et moi faisons du stop. Deux amis australiens nous ont laissé là avant de retourner à Adelaïde. Après quelques voitures, et deux cents kilomètres de parcourus, une longue attente, tout l’après-midi. A dix sept heures, le chauffeur d’un pick-up nous propose de nous amener jusqu’à un village proche, où il habite. Nous acceptons. Et à nouveau le pouce levé. Rien, aucun véhicule. Deux néozélandaises qui font aussi du stop sortent leur petite tente. La nuit va tomber, aucun espoir pour ce soir. Nous n’avons ni tente, ni matelas, seulement un léger sac de couchage. La seule auberge du village est tenue par notre dernier chauffeur. Elle est chère, et nous ne voulons pas tomber dans son piège. A côté de l’étendue plate de la route, un petit bosquet. Une partie est transformée en cimetière de voitures. Nous explorons quelques carcasses, en sélectionnons une un peu isolée près d’une rangée d’arbres<. Le plancher n’est pas trop troué, peu défoncé, presque horizontal. Elle sera parfaite pour nous isoler des serpents, insectes, ou autre faune variée et inquiétante. Nous balayons les crottes de kangourou, récoltons quelques restes de siège pour faire coussins, et nous enfournons dedans. Plus ou moins protégés par la carcasse, nous dormons à poings fermés.
Demain sera un autre jour pour nous rapprocher d’Alice Springs.

Patricia Thuriet
UTL Gap 4 avril 2019

 

LA VOITURE ABANDONNEE

Calée contre les arbres au bout de l’aventure
Le soleil envoie un petit clin d’œil avant l’endormissement de la nuit.
Le lierre enveloppe de douceur celle qui n’ira pas plus loin Jetée là au coin du chemin
Comme à la poubelle.
Les portières se sont ouvertes et n’ont plus rien à dire et le coffre bee comme un poisson mort
Au bord du chemin les marches bringueballantes s’apitoient C’était trop pour toi Repose toi maintenant. Au bout de l’aventure endors toi.
Elisabeth