Après cette rapide mise au point, il sortit téléphoner. On le vit tourner sur lui-même avec des gestes
irrités de sa main libre puis il rentra, les sourcils froncés. Il grommela qu'ils seraient là dans une petite
heure et ajouta : « Je me demande si celle qu'on cherche n'avait pas raison dans son antipathie pour son
gendre... »
Lui, qui prenait toujours la parole sans s'étonner du silence de son compagnon commençait à s'adoucir ;
il perdait de sa superbe depuis qu'ils avaient été rabroués au bistrot et surtout il commençait à s'émouvoir
voire à s'amuser du sort de ce couple de circonstances. Au cours de leur promenade pour occuper leur
attente, il céda, à la grande surprise de l'autre, à une digression pseudo-poétique : « Tu sais que ce jour-là,
celui de la disparition, le temps épouvantable n'a duré que cinq heures... le temps de favoriser leur
rencontre puis leur escapade. Le froid et la neige ont fixé les gens chez eux, bouché l'horizon, rendu le
monde illisible mais ça n'a pas été jusqu'à bloquer les trains et la circulation routière n'était que ralentie...
Et puis, le mauvais temps s'est arrêté brutalement en fin de journée. Le lendemain, il paraît que toute la
neige tombée la veille avait disparu à midi... Étrange, non ? » Le jeune enquêteur ne répondit pas mais il
évoluait lui aussi, dans le regard qu'il portait sur son patron. Il se surprit à lui sourire lorsqu'il sentit une
main se poser sur son épaule en lui suggérant avec douceur de faire demi-tour pour revenir vers le bistrot.
A défaut d'une amitié naissante, une connivence s'établissait.
Le couple grenoblois arriva un peu plus tard. Ils descendirent d'un gros 4X4 rutilant, lui avec sa coiffure
de footballeur et son pantalon étroit, elle, plus discrète, menue, très brune avec à l'évidence les yeux de sa
mère. Le mari attaqua sans préambule :
— « Alors, belle-maman s'est trouvé un mec ? Et on doit payer pour ça ? »
— « Nous avons fait notre travail, nous avons retrouvé sa trace et oui, vous allez nous payer pour
« ça » conformément au contrat que vous avez signé. Madame en apprendra un peu plus auprès
des patrons du café», dit le jeune enquêteur, martelant ses mots et prenant la parole pour la
première fois de la journée, sous le regard amusé de son mentor.
La jeune femme se dirigea vers le comptoir, sortit de son sac quelques documents avec des photos ; les
langues se délièrent. Elle apprit que sa mère, en compagnie d'un « homme d'un certain âge, habillé
comme en ville », s'était assise avec lui. Ils avaient mangé en parlant beaucoup et riant souvent. À la fin
du repas, ils s'étaient tournés vers un client qui se levait pour partir. « le monsieur au manteau gris a payé
par carte sans regarder la note » puis tous les trois s'étaient dirigés vers la sortie et alors que la porte
s'ouvrait, la serveuse avait entendu : « On roulera pas vite mais vous aurez votre correspondance». Le trio
était vite devenu invisible « vu qu'on n'y voyait pas à deux mètres ».
Elle revint vers les trois hommes et s'adressa d'un ton ferme aux enquêteurs : « je vous remercie pour ce
que vous avez fait. S'ils voulaient une correspondance, ils sont donc allés soit à Grenoble soit à Veynes...
mais nous arrêtons les recherches, inutile de poursuivre. Vous serez bien sûr payés dès réception de votre
facture. » Se tournant vers son mari, dans un registre nettement plus sec, elle ajouta : « ma mère est partie
vers autre chose, elle a fait un choix, je le respecte, je me demande même si je ne l'admire pas un peu...
En tout cas, elle n'est pas du tout cette « vieille toupie près de ses sous» comme tu dis toujours et si on
n'avait pas pris nos distances il y a trois ans, nous n'en serions sans doute pas là. Maintenant on rentre,
c'est moi qui conduis -après tout, c'est moi qui ai payé cette bagnole- et on ramène ces messieurs à
Grenoble. » Le jeune homme, bouche bée, tendit les clés à sa femme d'un geste mécanique. En marchant
vers la voiture, le jeune détective glissa à l'oreille de son collègue « On dirait que cette histoire a redonné
du mordant à la jeune dame... et puis je me demande si vous n'aviez pas raison dans votre
interprétation irrationnelle : chaque disparition du couple se fait dans un mouvement d'humeur de
l'hiver... » L'autre lui répondit avec un demi-sourire : « Si tu as compris que dans une enquête on n'avance
pas avec la seule raison, alors nous allons former une bonne équipe. »
Les portières claquèrent et la grosse voiture démarra dans un ronflement rageur.

Fin

Assise dans mon fauteuil, seule dans ma chambre, coincée dans ce corps trop encombrant, je n'en
peux plus, je vais hurler, je veux sortir, m'évader, m'enfuir, vivre.
Mais aucun son ne sort de ma bouche, sinon, j 'aurai droit à une piqûre calmante qui m'abrutira
pendant trois jours. Je deviendrai ainsi un corps mou, inerte et baveux.
J'essaie de me lever pour aller à la fenêtre, au moins prendre un peu d'air pur, admirer le cerisier
habillé de ses fleurettes roses si légères et odorantes, écouter les oiseaux piailler entre ses branches,
être dans la vie, quoi
Mes jambes ne m'obéissent plus, si j 'insiste je me retrouverai par terre, quelques heures sur le
plancher avant que l'infirmière ne me découvre. On me fera la morale, et on m'attachera sur mon
siège, dans mon intérêt, comme ils disent !
Mon désir de m'évader du quotidien monotone, n'est pas nouveau. J'ai toujours eu mes stratégies.
Déjà en classe, lorsque l'enseignant égrainait sa leçon imbuvable, mon esprit voltigeait à mille lieu
hors de la classe, et ainsi, je quittais le cours, détendue et heureuse. Une autre méthode qui m'a bien
réussi, c'est l'occupation manuelle. C'est dingue comme se consacrer au dessin, au tricot, à la
cuisine ou même passer l'aspirateur, absorbe l'esprit. Concentrée sur la tâche, l'ennui disparaît,
mais l'énergie absorbée par l'action limite celle de l'échappée qui reste médiocre.
De toute façon, je ne peux guère faire grand-chose de mes dix doigts, maintenant, à part provoquer
une catastrophe. Je renverse mon verre une fois sur deux en tentant de le saisir, et parfois, en
prenant ma fourchette, mon assiette s'écrase au sol sans que j'en saisisse vraiment la cause.
Ma fuite préférée, c'est la lecture, je m'évade dans le texte, je suis le personnage concerné, j' évolue
dans sa contrée et à son époque. Je vis un nombre incalculable d'aventures passionnantes, amasse
une multitude de connaissances générales et gagne certaines réflexions.
Le livre est une fenêtre ouverte sur l'au-delà de ma vie.
Mais maintenant, mes yeux sont trop fatigués pour dévorer quelques pages d'écriture.
La télévision reste ma seule distraction accessible. Je passe le temps vautrée dans mon fauteuil,
l'oeil rivé sur un écran à avaler des images sonores. Cela me fatigue, m'abrutit, je ne fixe guère
d'idées intéressantes et n'adhère à aucune histoire malgré le nombre impressionnant de séries qui
défilent.
Il me reste le rêve, je m'évade en pensée. J'appelle les souvenirs, je dois m'en méfier. Certains sont
explosifs, trop heureux. C'est douloureux à l'extrême. Je voudrais tant revivre un instant ces
moments de bonheurs entourée de personnes disparues. Il y a ceux que j'ai gravés dans un coin de
mon cerveau pour toujours, pour les apprécier plus tard. Mais ce plus tard devient trop tard. Ils sont
floutés par mes larmes qui coulent abondamment, les visages effacés par le temps, et le vécu
estompé par l'usure. Heureusement, il m'en reste certains que je peux aborder sans crainte. Encore

Nous sommes au début du xx°siècle, dans la Russie tsariste, près de la ville de Kamenka.
Ici se trouve un shtetl comme tant d'autres, une petite communauté rurale essentiellement composée
de juifs, lesquels sont assez mal tolérés par la majorité orthodoxe.
C'est là que naît Isaac, au sein d'une famille pieuse, troisième d'une grande fratrie de sept enfants.
Son père est tailleur, et ils vivent très modestement, un peu à l'étroit dans une maison de bois bien
tenue, mais surpeuplée au regard de la surface disponible.
Garçon dégourdi, d'une vive intelligence, curieux de tout, il grandit dans un foyer bienveillant, et
très jeune il est saisi de la passion du dessin. Observateur minutieux, tout est pour lui prétexte à
représenter ce qu'il perçoit. En l'absence de matériel approprié, onéreux et du reste introuvable
localement,il use de ressources et de supports variés pour croquer les gens, les animaux, les
paysages, les scènes du quotidien.
Dans son village l'atmosphère ne reste jamais longtemps sereine. La misère, la faim menacent. Le
poids des traditions et des contraintes religieuses étouffent les élans individuels dans cette micro
société repliée sur elle même, qui fait face à un environnement hostile. Enfin, la population locale
vit dans la crainte perpétuelle de nouvelles persécutions. Car s'il est une habitude bien ancrée chez
le petit peuple russe, c'est de faire porter aux juifs la responsabilité de leurs propres malheurs, et
d'en faire de parfaites victimes expiatoires. Boucs émissaires de frustrations collectives auxquelles
ils sont étrangers, ils subissent de terribles pogroms, où massacres, pillages, viols sont monnaie
courante, sans que jamais justice ne soit rendue à ces pauvres gens.
Isaac connaît bien cette peur viscérale, et à quinze ans, il sait avec certitude que même s'il parvient
à échapper au pire, il ne pourra jamais s'épanouir dans un tel contexte. D'autant que son don
artistique est loin d'être bien vu dans une collectivité où la religion proscrit la représentation et les
images. Il rêve constamment de pouvoir s'échapper de cet univers sans horizons, et à force
d'insister auprès de ses parents, il obtient de pouvoir aller vivre chez une soeur de sa mère à St
Petersbourg. Ce sera la première évasion de sa jeune existence, pour un ailleurs qu'il imagine
prometteur.
En ville, Isaac va devoir effectuer maintes tâches ingrates pour subsister, mais par ailleurs à force de
persévérance, il va réussir à pousser la porte de l'institut des Beaux-Arts, à trouver un maître pour
acquérir les techniques picturales qui lui font défaut et se frotter aux oeuvres des peintres reconnus.
Doué, volontaire, travailleur inlassable, ses progrès vont être rapides et rapidement il bénéficiera
d'un début de reconnaissance, qui lui vaudra quelques commandes de portraits, en provenance de la
bourgeoisie citadine.
Tout cela s'accomplit dans l'effervescence de la période pré-révolutionnaire, où intellectuels et
artistes sont à la pointe des combats pour la chute du tsarisme, et un changement de régime
politique.
Quand la révolution éclate, il croit comme beaucoup à un avenir radieux. Le désenchantement ne va
pas tarder. La guerre civile, la violence, les espoirs trahis, la mise au pas des esprits libres, la fin des
libertés, la censure, l'embrigadement des artistes, le renouveau de l'antisémitisme, le convainquent
d'envisager un nouveau départ. Il n'y a pas de place pour les artistes indépendants, et seuls ceux qui
renoncent à leur potentiel créatif pour devenir de pâles flagorneurs à la gloire du régime sont
acceptés. Pour qui ne veut pas rentrer dans le rang, il n'y a guère d'alternatives.
Isaac refuse d'être un artiste muselé, et il va fuir le pays de ses racines pour rejoindre une de ces
Babels scintillantes, qui attire les talents du monde entier. Et pour un peintre de cette époque, quoi
de mieux que rejoindre la France et sa capitale Paris, qui offre son aura mythique à la bohème
artistique des années trente.
Il y noue des liens avec d'autres artistes émigrés, se nourrit des mouvements esthétiques qui
embrasent la période, profite de la vie intellectuelle brillante, mais se garde bien d'adhérer à une
quelconque école. Il poursuit son chemin de peintre sans attaches, expérimente, innove, et affine
son style. Il vit pour son art, qui lui permet d'échapper en partie à la mélancolie, à la nostalgie de
son pays et des siens.
C'est un rêveur impénitent, pour qui le songe est moyen d'aller plus loin,d'aborder des territoires inconnus, de se libérer des carcans matériels.
Ces échappées imaginaires viennent enrichir son travail pictural qui navigue entre réalisme, symbolisme et pure invention de
l'esprit. Il est réputé ne pas avoir les pieds sur terre, mais c'est un choix délibéré au regard d'un
monde dont il a appréhendé les pesanteurs, les pièges et les périls.
Il aurait pu s'installer dans une paisible quête esthétique, jouissant de conditions matérielles
correctes, mais c'était sans compter les bruits de botte et les terrifiants nuages qui obscurcissaient
l'horizon. Les juifs sont à nouveau au coeur de la tourmente, et quand les nazis envahissent la
France, Isaac n'a guère d'autre choix que de traverser l'océan pour échapper à la barbarie.
Évasion encore, cette fois-ci de la vieille Europe qui allait se couvrir d'immenses camps de
concentration, où périraient tant des siens.
Les États-Unis, pourtant terre d'immigration, accueillent les étrangers sans réel enthousiasme,
voire avec méfiance, mais chacun peut y tenter sa chance selon le mythe fondateur du pays.
Isaac, sans avoir une notoriété internationale immense, commence à être connu d'un public
d'amateurs éclairés. La fortune n'est pas acquise, mais il va pouvoir subsister, quoique
modestement, de son art.
Malgré de réels efforts d'adaptation, il a pourtant bien du mal avec «l'american way of life». Il se
sent étranger dans ce pays où une majorité de citoyens ne révèrent que le dollar et la réussite
individuelle. Il a fui l'enfer du communisme soviétique, la terreur national-socialiste, pour se
retrouver désemparé dans une société hyper libérale, capitaliste, où les injustices sociales sont
criantes et les minorités ethniques stigmatisées. Ce n'est pas le havre de paix, d'équité, de sérénité
dont il avait rêvé.
La guerre terminée, il se résout à quitter cette terre inhospitalière pour les idéalistes et les doux
contemplatifs. Serait-il condamné à ce statut de juif errant colporté par les idéologies racistes ?
Vrai ou non, il embarque sur un navire au début des années cinquante, pour une île des Caraïbes.
Malgré l'exotisme de la destination, cette terre n'a pas grand-chose de la carte postale ou du paradis
primitif. En revanche c'est un lieu paisible, où les autochtones ignorent le stress des cités modernes,
vivent de peu car sans grands besoins, accueillent sur un rythme indolent les quelques égarés en
quête d'un abri face aux tourmentes de l'existence.
Isaac y pose ses valises en espérant faire le bon choix. Ébloui par la lumière étincelante, séduit par
les couleurs franches, bercé par le rythme de l'océan, il produit des oeuvres très personnelles, où se
mêlent sensations et impressions recueillies à chaque étape de ses pérégrinations. Cherchant sans
cesse la beauté cachée derrière les apparences, épiant la secrète harmonie du monde, soucieux d'
insuffler à ses oeuvre la simple joie d'être, il n'a cure de la valeur marchande de ses créations.
Ici, il peut être lui même, car personne ne se préoccupe de qui il est, de sa race ou de sa religion.
Dans ses songes débridés, lui apparaît régulièrement la figure du célèbre Houdini, ce fils de rabbin
hongrois devenu le légendaire roi de l'évasion. S'il ne possède pas sa science de l'escapologie, du
moins a-t-il fait en sorte sa vie durant de s'éloigner de ce qui pouvait l'entraver dans son expression
artistique.
A sa manière, il est un illusionniste génial qui par ses toiles enjolive un monde souvent triste à
pleurer. Il croit au pouvoir des images, capables de toucher l'humain au profond du coeur et de l' esprit.
Du juif errant, il a emprunté quelques traits, ne serait-ce que par les déplacements auxquels l'a
condamné l'Histoire. Laquelle histoire le rattrape à nouveau, quand son île refuge après maints
soubresauts voit s'instaurer un régime dictatorial effroyable. C'en est trop pour Isaac, qui n'a plus
l'âge de repartir à zéro.
Après avoir mis la dernière touche à une grande fresque colorée, considérée comme son testament
artistique, il met fin à ses jours sans regrets, l'âme enfin en paix. Cette grande et ultime évasion
achève une aventure artistique singulière.
Isaac, vagabond céleste et visionnaire devenu légendaire laisse une oeuvre sans concession,
profondément émouvante pour qui sait regarder au-delà de l'évidence, et voir plus loin que
l'apparente ligne d'horizon.

 

La promenade

- Dis-moi maman, pourquoi dit-on que quelque chose est éphémère? Je ne comprends pas cette leçon!

Je regarde mon fils me fixer droit dans les yeux, il semble outré. Entouré de ses livres de français, il ne semble pas réaliser la portée de sa question, et je le comprends. Du haut de ses dix ans, cette notion peut paraître compliquée.

- Pose tes livres et accompagne moi à l'extérieur. Je vais t'expliquer cela au travers d'une balade.

Il s'empresse de tout fermer et enfile ses chaussures à une vitesse folle. La perspective d'une promenade semble, bien évidemment, pour cet enfant débordant de vie, plus intéressante que ses cahiers et leçons.

- Il y a, dans la notion d'éphémère, des sentiments d'instantanéité et de ponctualité.

C'est un élément qui ne durerait pas dans le temps. Il s'agit donc d'un instant, d'un souvenir ou même de quelque chose qui ne s'inscrit pas dans la continuité, dans l'Histoire.

- C'est faux. Complètement faux !!! Me rétorque-t'il.

Son ton est tranchant.

- Oui et non. Dis-m'en plus sur ton point de vue.

- Si je reprends ce que tu m'as dit maman, cela voudrait dire que nous ne sommes pas capables de conserver un instant?

- C'est un peu ça oui.

Il me regarde avec un air totalement désapprobateur.

- Alors dans ce cas, quelle est l'utilité des photos, des vidéos? Nous avons des moments avec nos amis, nos copains de l'école. Nous prenons des photos. Nous vivons des instants qui sont donc éphémères car ils ne durent qu'un temps, mais nous les conservons pourtant pendant une durée indéterminée !

- Tu as raison, c'est vrai. En ettet, l'éphémère est un moment, qUI, parmi les autres, trouvent une valeur forte. On appréciera de passer du temps avec ses amis, ses amoureux ou amoureuses car nous savons que ces moments sont limités, ils ne durent pas: ils sont éphémères. C'est donc à nous de les chérir.

- Ah ça oui!

- Pour te donner un autre exemple, l'instant que nous vivons en ce moment est éphémère car il ne durera qu'un temps. A une plus grande échelle, nous pouvons dire que la vie en elle­même est éphémère. Car finalement, la vie n'est qu'une succession de moments spontanés et délimités dans le temps. Mis bout à bout, ces instants forment des choix, qui forment nos vies.

- Sije comprends bien, c'est un peu comme quand, hier, après avoir choisi les chaussures vertes pour aller à l'école, j'ai regretté car Maxence avait les mêmes que moi. L'instant où j'ai choisi mes chaussures était éphémère car il n'a pas duré dans le temps, et cette action a eu des conséquences sur mon humeur un peu plus tard.

- Tout à fait!

- Je veux prendre des photos, profiter de l'instant présent. Je suis ici avec toi et je ne souhaite pas rendre ce moment éphémère, je veux m'en souvenir plus tard! Je ne veux pas l'oublier!

Il m'arrache une larme.

- Mon chéri ...

Je le fixe droit dans ses petits yeux en amande.

- Il ne s'agit pas nécessairement de retenir l'éphémère. Il s'agit de profiter des instants que tu vis. De vivre intensément, pour ne pas regretter plus tard. Tout est instants et moments qui définissent le début du reste de ta vie et de celle des autres. C'est la raison pour laquelle tu dois être droit et correct. Quant à ton sujet de français, défmir que quelque chose est éphémère tu peux répondre ceci: Tout est éphémère du moment qu'il n'est pas entretenu, l'enjeu est de le retenir pour le transformer en souvenirs impérissables.

- Ok j'ai compris ! Retenir l'éphémère pour le faire perdurer passe par des actions.

- Exactement !

- Merci beaucoup! Mais euh ... Maman?

-Oui?

- L'école aussi c'est éphémère? parce que, de ce que j'ai compris ... oui. Dans ce cas, je n'ai pas besoin de rendre ce devoir!

- Alors ça mon chéri, c'est un autre débat! dis-je dans un éclat de rire.


 

Petit garçon

J'ai vu ce petit garçon flâner
devant cette rivière, silhouette d'eau,
qui semblait boire chacun de ses mots.

Lui caressant doucement 
le visage, j'entendis au loin,
qu'il disait n'être qu'un
oiseau de passage.

Car dans le dos, on lui a
coupé une aile malade,
et que s'il perdait l'autre,
il deviendrait sur une fleur,
qu'un doux et tendre pétale.

Car «je suis éphémère comme
la rose»
disait-il, et que si l'on
désarme « flâner» de son aile,
il finira par s'éteindre doucement,
mais laissera au passage, un parfum
d'amour sur le cœur des vivants.


  

L'éloge du temps

Chaque aube naissante dessine une page blanche où s'écrit une nouvelle histoire, un souffie de vie inaugurant la lumière et la création.

Le temps est surprenant: les jours et les nuits se succèdent et ne se ressemblent pas.
Le temps est incertain: sa subtilité éphémère donne l'illusion de l'éternel.
Le temps est substantiel: il est le guide du chemin de la sagesse.
Le temps ne se retient pas: il est souvenir pour hier, nouveauté pour demain et moment présent pour aujourd'hui.

Il se dessine à travers Dame Nature et ses multiples paysages empreints de courbes, de nuances et camaïeux qui appellent à la contemplation.

Il se savoure par des moments fugaces embellis par la joie et l'émerveillement tels ceux d'un enfant admirant la traversée d'une étoile filante égarée au cœur du firmament.

Il invite à songer au bonheur, l'enlacer quand il se présente et l'ancrer au plus profond de son cœur afin de sentir sa présence continuellement.

Il se saisit sans réfléchir: le kaïros. Allégorie de la magie ou du miracle, vecteur d'un état congruent, il est alors l'opportunité de s'accomplir pleinement avec finesse et lucidité.

Il se met en suspend lorsque la flèche de Cupidon perce deux cœurs hypnotisés par l'amour, où l'attirance, état de transe, se peint dans un jeu de séduction chamel et exaltant. Un moment de désir : la rencontre, deux regards et le silence.

Il offre des plaisirs somptueux et savoureux, des ivresses et des poésies. Des mélodies aux notes douces et chaleureuses qui nourrissent l'âme. Dès lors sublimée, elle se réverbère sur un corps bienheureux.

Il se prend. Oui prendre le temps, le temps de respirer, d'être, de faire, de sourire, d'observer, d'écouter, de méditer tout en s'inspirant de cet adage écrit par Horace: Carpe diem, quam minimum credula postero.

Il se raconte au cœur d'une histoire singulière effervescente de moments inoubliables, d'expériences dont les richesses mènent à l'harmonie, à l'acceptation et au lâcher-prise.

Il guérit les âmes en peine. Le temps est un abri qui, lors d'un deuil, permet une pause réflexive afin de propulser la psyché vers un renouveau tout comme le Phoenix qui renaît de ses cendres. Il se promène depuis la nuit des temps, traverse des époques toutes aussi différentes les unes des autres. Il est le témoin de l'évolution humaine. Il est infiniment grand.

Il se lit dans les lignes de la main et dans les sillons tracés sur les visages au fil du temps qui fredonnent le refrain d'un hymne à la vie.

Il passe vite, très vite, s'essouffle parfois mais reprend toujours son élan pour esquisser la toile funèbre: partir vers d'autres cieux toutefois inconnus. Passage effroyable ou olympien, la mort évoque le secret animique de l'après dont seul le temps est le gardien.

Le temps vit au cœur d'un univers fertile. Il se révèle dans l'instant et rend possible l'écriture d'un lendemain.


 

Retenir l'éphémère, le vieux.

Ses gros doigts ont du mal à saisir, serrer et nouer ces lacets un peu trop raides.

Il vient de les remplacer il y a quelques jours, ils sont encore très apprêtés, mais ça ira mieux bientôt. Finalement ils ne sont pas si gros ses doigts, juste un peu trop noueux. Assez fins d'ailleurs, et bien déformés comme le sont des sarments de vignes pourtant beaucoup plus jeunes que lui.

Les lacets s'accordent bien avec les chaussures façon italiennes, d'un cuir fin, soyeux, un peu fauve, cirées comme un miroir. Portées ces chaussures, bien portées même, et aussi bien soignées. Souples comme des gants, ajustées, et harmonieuses avec les lacets marrons clairs qu'il vient de réussir à nouer. Il a bien d'autres chaussures de toutes natures, mais le temps qu'il fait aujourd'hui impose celles-ci à ses pieds pour l'accompagner.

Après cet effort d'agilité capricieuse, ses doigts noueux le font un peu souffrir. Mais pensez-donc, tant d'années, tant de décennies à assouplir et plier le cuir, tirer le fil enduit, perforer à l'alêne et piquer de l'aiguille courbe, assujettir les peaux sur l'ébauche, ajuster les teintes et maintes autres manipulations qui ont accumulé les maltraitances sur ces mains là. Sur ces doigts là, qui finalement l'ont bien supporté et ne l'ont pas lâché de toute sa longue carrière. L'apprenti cordonnier qui est devenu chausseur, fabriquait un peu, réparait beaucoup et vendait aussi. Enfin, c'était surtout son épouse qui vendait le mieux. Elle avait le don avec les clients. Elle savait les choisir et les assortir pour les clients.

Puis un jour, subrepticement l'âge les a retrouvés, envahis, dominés. Elle fut emportée en quelques mois douloureux et ajouta dans son bagage la passion, l'énergie et l'envie.

Il délaissa le magasin d'abord, puis petit à petit l'atelier, liquida le stock et se rencogna dans le petit appartement du dessus pour s'assoupir.

Pendant longtemps le magasin abandonné s'est décrépi jusqu'à ce qu'il cède à l'insistance de voisins. Rejoignant la tendance que le quartier a pris en accueillant ses nouveaux visiteurs, son vieux commerce a trouvé une modernité vintage dans son habit suranné. Il revêt maintenant une jeune parure d'artisanat et d'accessoires vestimentaires, pleine de couleurs et de dynamisme.

Momie inadaptée sur la place qui l'a vu naître, il ne s'y sentait déjà plus de ce monde et attendait sans vie, que la santé se lasse de le laisser vieillir gentiment.

Un jour qu'il ouvre une malle, il se perd brutalement dans le dédale oublié des images qui resurgissent à l'improviste. Il redécouvre ses chaussures fétiches, et ses casquettes qui lui conféraient une identité toute personnelle. Comme un enfant qui joue aux essayages, il constate que sa tête convient toujours à ses couvre-chefs, puis dépoussière et cire ses chaussures pour en faire revivre le cuir, lustrer la patine. Ne sortant que pour le strict nécessaire, sa garde robe n'a pas été renouvelé ni usé depuis son époque. Il s'habille donc soigneusement et surtout se chausse, se coiffe attentivement, saisi la canne de bois qui lui a été offerte lors de la vente de son magasin, et pour la première fois depuis des années, il sort sans en avoir l'utilité. Ce jour-là c'est juste un besoin, tout court. 

Ainsi, depuis la fin de l'hiver, chaque matin, il prend le temps de se préparer tranquillement, comme en rituel, et descend faire le tour de la place et des quelques ruelles avoisinantes. Il passe tout d'abord par le bureau de tabac pour se permettre un petit cigare léger, de ceux qu'il affectionnait lorsqu'avant ils faisaient ensemble une promenade dominicale, et il chemine tranquillement à la rencontre de ses partenaires de temps qui passe.

Il Y a Claude le maraîcher de la place et sa femme Gilberte, récents grands-parents, qui se préoccupent de sa santé, veillent qu'il ne lui manque rien et sont les seuls à les avoir connus, il y a longtemps déjà dans leur magasin-atelier de chaussures. Ils sont les seuls aussi à l'appeler par son prénom. Ce sont les derniers avec qui il partage un bout de passé, comme une intimité de disette.

Le bistrotier Albert, prince débonnaire régnant sur tout ce petit monde de quartier. A la fois confesseur, psychiatre, presse et jeu, lui sert un café serré et un verre d'eau dès qu'il apparaît en lui annonçant les dernières nouvelles fraîches, ou en commentant le dessèchement de celles qui datent un peu.

Édouard lui se prend pour, ou fut peut-être réellement, un petit aristo. Désargenté, il s'illusionne encore de sa prestance que les bières bues dès le matin habillent d'une classe perdue. Il continue à s'adresser aux oreilles complaisantes, jusqu'à ce que les petits blancs et les apéros le rendent inaudible.

Routard sédentarisé, Kevin dont l'âge ne justifie pas son état de décomposition avancé, lui fait raconter son époque qu'il voit comme chanceuse, idéalisée sans doute, pour vivre par procuration dans un monde que son abus de produit toxique ne lui donnera sûrement pas l'occasion d'approcher.

Et surtout il y la chaise paillée, posée entre deux portes de commerces, mi ombre mi soleil, place stratégique d'où il s'immerge dans toute cette agitation matinale. Spectateur privilégié, convié par les acteurs à s'intégrer au cœur de la scène de leur représentation. De là, ils viennent y recueillir un mot, ou lui apporter les leurs. Comme un arbitre bienveillant à qui on ne demande que d'être là et d'y être le plus longtemps possible en digne représentant de la perpétuité des choses.

Ainsi, le couvercle béant de la malle aux chaussures restée ouverte, conserve désormais le temps qui passe en y emmagasinant les mots, les sourires, les intentions, les présences et les attentions que chaque promenade matinale moissonne.

Comme l'eau qui s'évapore sous la chaleur, ses journées inutilisées s'enfuyaient l'une derrière l'autre sans laisser plus de trace que celle fugace de l'oiseau se posant sur la plage.

Aujourd'hui, les pavés des ruelles lentement arpentés par le cuir assoupli, caressés par l'embout de caoutchouc de la canne, sont devenus des compagnons de route sur le chemin de la mémoire.

Les journées du vieux cordonnier existent désormais dans les vies de ceux qu'il côtoie quotidiennement. L'éphémère insaisissable du temps perdu qui s'évanouissait a été capturé par une convivialité retrouvé.


 

Lettre à mon enfant

Vois-tu ce nuage dans le ciel? Il prend la forme d'un mouton ou peut -être d'un chien ... Regarde cet oiseau sur la branche, ce papillon sur la fleur ... Ils profitent du printemps, du soleil. ..

Ecoute le vent dans les arbres, l'abeille qui butine, le chant des oiseaux, la cloche de l'église, les vaches qui mugissent, le coq qui nous réveille ... Toutes ces musiques sont si belles à entendre ...

Sens le doux parfum des fleurs, 1 'herbe coupée, les épices sauvages. Imprègne-toi de toutes ces odeurs délicieuses ...

L'été, le torrent jaillit depuis le haut de la montagne, il s'écoule ensuite tranquillement dans la plaine mais l'hiver il est recouvert de neige, l'eau est gelée aux endroits les moins profonds.

Les arbres sont verts tout l'été mais lorsque l'automne est là, ils se parent de couleurs, ocre, jaune, orangé, rouge ... L'hiver ils se couvrent d'un beau manteau blanc pour reverdir au printemps ...

Regarde ces paysages merveilleux ...

Tu cours après la feuille qui s'envole, tu ris aux éclats lorsque tu te roules dans 1 'herbe ou que tu glisses sur la neige.

Profite de ton innocence, de ta jeunesse, de la vie !

Tout cela part tellement vite ... La vie est belle, la nature est magnifique, le sais-tu ?

Pour garder ces images, tu peux prendre des photos: elles te permettront de revivre certains de ces instants, mais le mieux cependant est de les vivre pleinement et de les mémoriser.

Les senteurs, les sons, les ressentis sont quelque chose de personnel et tu es le seul à les vIvre ...

Garde ces souvenirs en tête et tu les transmettras à ton tour à tes enfants. Souviens-toi de ce que tu vis, de tous ces moments merveilleux ...

Reconnaîtras-tu l'odeur du gâteau au chocolat, des déguisements que tu as portés, des meubles en bois? ...

Te souviens-tu des comptines que je te chantais lorsque tu ne trouvais pas le sommeil? Sens-tu encore mes mains sur ton visage qui te caressaient pour t'apaiser lorsque tu étais triste? ...

Touche cette pierre, caresse le chat, mets tes mains dans la fourrure du chien ...

Par tous tes sens, retiens ce que tu vis car tout est éphémère. La vie est éphémère ...

Profite, mon cher enfant, de tous ces instants présents! La vie est belle mais parfois elle nous quitte sans nous prévenir, bien trop tôt. ..

Aujourd'hui je partage avec toi toutes ces choses délicieuses mais demain, peut-être, aurai-je tout oublié? T'aurai-je oublié? ... M'oublieras-tu? ...

La mémoire est indispensable mais l'âge ou la maladie peuvent nous l'enlever ...

Dans ce cas, rappelle-moi ces doux moments, chante-moi les chansons qui te berçaient. .. Caresse-moi le visage, les mains, comme je le faisais lorsque tu ne trouvais pas le sommeil. ..

Et, enfin, je partirai, apaisée ...


 

Retenir l'éphémère ...

Voici ma quête, pour elle tous les jours, j'enquête:
Retenir l'éphémère.

L'éphémère, ce substrat ingrat, qui dès qu'il est vécu, identifié, s'enfuit comme un renégat pourchassé par la loi .

Partout, je le guette, car l'éphémère, comme son nom l'indique, ne dure pas,
s'envole prestement, disparaît rapidement, hors de vue , hors d'atteinte,
reviens l'éphémère !

Alors, en tous temps, en tous lieux, je le piste, je suis sa trace,
je suis un trappeur de moments éphémères ...

J'opère sur tous les théatres , dans la ville commode, dans la nature hostile,
dans les situations les plus cocasses et inédites,
comme celles plus ordinaires ...

Car l'éphémère se cache partout, il est l'as du camouflage, le roi du déguisement,
et à l'instar de certains animaux, il pratique le mimétisme avec brio ...

Ainsi donc, il n'est pas toujours aisé de le débusquer, comme fée électricité, on ne peut bien longtemps le garder ...

Et n'oublions pas, que finalement, tout est éphémère, ou peut l'être ...

La vie, avant tout, l'est.
L'amour, qui peut, on le sait, ne pas durer toujours
La jeunesse, la joie, l'énergie, la saison des abricots moelleux,même si l'on sait que pour ces derniers, l'année d'après ils reviendront .. ; tout est fragile,
et disparaît un jour d'un battement de cils.

La journée que l'on débute, elle aussi est fugace ..

Qu'elle soit nimbée de bonheur ou de malheur, l'avantage ou l'inconvénient, c'est qu'elle est, elle aussi, finissable , papillon de nuit qui s'éteint avec le jour naissant ...

Cette existence, donc, éphémère par essence, qui s'étale sur quelques heures, quelques jours, ou plusieurs décennies, cette existence, à laquelle nous nous accrochons coûte que coûte, mais qui inexorablement, nous filera entre les doigts, glissera de nos mains ...

Par définition, on ne peut retenir ce qui est éphémère que le temps de son existence qui ne perdure pas.
A une exception prés ,cependant :
Les souvenirs.
Les faits, les actes, les situations, sont éphémères.
Les sentiments , les émotions et les souvenirs qui y sont rattachés, eux , peuvent vous rester et vous habiter toute une vie .

C'est pour cela que cette vie que nous expérimentons tous de manière différente, nous chuchote, nous fait comprendre qu'à part les leçons qu'elle nous apprend de temps à autre de façon qui semble être à nos dépens, cette foutue vie, parfois,nous apprend surtout, que rien, ne se retient.

Du reste, rien ne reste intact, tout se transforme, change, et même les souvenirs les plus forts, parfois, un jour, eux aussi, finalement, peuvent disparaître ...

Ou alors, on les enjolivera, on en retranchera un peu, on y ajoutera une touche de ci , un morceau de ça ...

Le fauvisme le plus flamboyant se transformera en pastel irisé, le métal le plus dur se changera en dentelle délicate, la pluie fine évoluera en hallebardes.

Et puis un jour, tout disparaît.

Tout disparaît, et magie de la vie, autre chose renaît .

Je dois être un mauvais chasseur, ou un piètre archéologue, car sans cesse affairé dans mes fouilles , et pourtant ,souvent rentré bredouille.

Je n'ai pas trouvé la recette alchimique pour retenir le saint Graal, car tout de même, tout est résultante de réactions chimiques.

J'aurais eu beau retourner la terre entière, puisque tout est éphémère, j'ai laissé ma pelle et ma pioche, délaissé mes pièges et mes filets ...

Maintenant fatigué, je vais me laisser aller à un sommeil réparateur, lui aussi, je le crains, éphémère ...

FIN


 

 

IL AURA RETENU L'EPHEMERE

Lorsque le jour se leva, l'atmosphère était déjà lourde. Lourde du reste d'orages terrifiants qui avaient ponctué la journée de la veille. Ce matin-là, le soleil brillait de nouveau mais une moiteur enveloppait les êtres et les choses. Tous deux avaient décidé que ce jour-là, le but de leur excursion serait l'aqueduc du Pont du Gard. Après une matinée de repos, ils se rendirent sur les lieux.

La chaleur était difficilement supportable. Le soleil brûlait paysage et hommes, la luminosité se faisait aveuglante. Mais lorsqu'ils partaient ainsi ensemble, rien n'aurait pu les arrêter. Ils se mettaient mutuellement en marche comme s'ils n'avaient été qu'un seul être. Aussi, ce jour-là, s'acheminaient-ils tranquillement vers le monument le plus célèbre de cette Provence enchanteresse qu'ils aimaient par­dessus tout. La foule était nombreuse autour d'eux, mais cela ne les empêchait pas de s'emplir du chant des cigales, de se laisser caresser par les soufiles brûlants d'une légère brise, de s'enivrer des parfums environnants. Avant de monter sur l'aqueduc et de satisfaire ainsi leur curiosité, ils résolurent de se reposer un moment au bord du Gardon et de profiter de la fraîcheur de l'eau vive. Aussi s'installèrent-ils sur le sable qui descendait en pente douce vers la rivière. Là, il se plut à contempler sa compagne comme il le faisait si souvent sans jamais ressentir une quelconque lassitude. Elle était resplendissante dans la maturité de ses quarante ans. Une incarnation de la Beauté. Avec elle, on était au-delà du charmant, du joli, de la séduction. C'était à proprement parler une déesse qui, cependant, ne tirait aucune prétention ni aucune suffisance de sa perfection. Grande, élancée, blonde, hâlée, il semblait que ce corps eût été modelé par un des plus grands sculpteurs florentins de la Renaissance italienne. Lui était un peu plus âgé, élégant et chic cependant, plein de charme et d'affabilité.

Ils profitèrent ainsi du paysage exceptionnel qui les enveloppait, ne sachant sur quoi attarder leurs regards, sur le bleu profond du Gardon, sur l'immensité aveuglante du ciel, sur les escarpements verdoyants des collines environnantes, ou sur la blancheur cassée du monument.

Enfin, ils se dirigèrent vers ce célèbre pont, vanté tant par les poètes, les artistes, que les historiens.

La beauté et l'ingéniosité de la construction étaient mises en valeur par le cadre naturel. La pierre blanche était rendue éclatante par le contraste que provoquaient le bleu du ciel et la verdure du site. On aurait cru que la nature s'était ainsi formée pour valoriser le monument. Ils appréciaient autant cette splendeur majestueuse que le génie dont témoignait la construction. Tandis qu'ils continuaient à partager émerveillement et culture, ils s'acheminaient vers le niveau supérieur de l'aqueduc accessible par le flanc des collines. Ils s'engagèrent alors dans la canalisation, là même où des siècles plus tôt s'écoulait l'eau qui allait alimenter la ville de Nîmes. Cette superposition des époques ne les laissait pas indifférents. Après combien de siècles ils arrivaient, eux, si fragiles dans cet univers minéral! Cela créait comme un sentiment de frustration en eux ; lui perdait quelque peu de son enthousiasme, ne prononçant plus une parole. Ils décidèrent de faire le même chemin, mais sur la galerie supérieure cette fois. Là, la foule avait disparu, restaient quelques curieux ou passionnés. Il fallait évidemment montrer un peu de prudence. Tous deux avançaient précautionneusement. Sa main appuyée sur l'épaule de son amie, il méditait sur la grandeur des lieux. Cet aqueduc était là depuis des siècles : imposant, dominant toute la vallée et le paysage, il avait traversé les temps, avait été témoin de tant d'évolutions dans son cadre, avait été tant de fois admiré, avait suscité tant d'interrogations. La matière s'avérait là bien supérieure à l'homme, même si c'était ce dernier qui avait façonné les pierres, calculé les résistances des arcs, des piliers; il avait certes laissé sa trace à travers ce monument, mais seul ce dernier avait résisté au temps.

Et lui? Et eux ? Là, sur ce pont éternel, que représentaient-ils? Rien, au regard de l'éternité. Il admira encore son amie qui restait subjuguée par cet environnement. Une fulgurance lui traversa alors l'esprit: elle, si belle, allait forcément peu à peu se faner. Dans quelques années, cette perfection ne serait plus. Elle-même peut-être en serait affectée. C'était bien là la condition humaine, la condition des mortels condamnés à la dégradation, à l'avilissement. Le soleil l'aveugla encore une fois soudainement.

C'est alors que des hurlements de terreur et à la fois de surprise résonnèrent dans la vallée. Certains fermèrent les yeux pour ne pas voir la fin de la chute vertigineuse. La jeune femme venait de s'écraser sur le banc de sable qui s'étendait au milieu du Gardon. Après la stupéfaction, ce furent l'horreur, puis la panique, qui envahirent la foule présente en ce lieu. Lui restait hébété au milieu de la plate-forme, et il fallut que quelques promeneurs le prissent par les épaules pour le faire redescendre.

Alors, ce fut la succession des autorités, des responsables du site, des secours. Le corps, qui n'avait pas même été abîmé malgré la vitesse de la chute et la violence du choc, dont la beauté apparaissait comme une évidence dans ce sommeil qui serait éternel, fut emporté, et l'enquête commença. Les suspicions de meurtre étaient fortes, mais rien ne vint corroborer cette thèse .

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De nombreuses années plus tard, Lui s'éteignit, dans la solitude la plus totale. Lorsqu'on s'avisa de trier ses affaires, il fut trouvé un journal couvrant les dernières années de sa vie. On y découvrit l'atroce et en même temps sublime vérité sur une page écrite juste après le drame.

« A qui expliquer ce geste que chacun considérerait comme un meurtre sordide ? Alors qu'il ne s'agit que d'une délivrance pour elle et d'un hommage pour moi ... Ainsi elle ne me verra jamais vieilli et affaibli. Elle ne se verra jamais, fanée et dégradée .... Jamais elle ne se désolera des premières rides venant ternir son visage. Jamais elle ne se rendra compte de ce qu'elle fut et ne pourra plus être. Elle est restée une déesse, aucune image altérée d'elle ne sera dans aucun esprit de ses proches. Aucune photographie ne viendra ternir cette réalité de sa jeunesse. Elle est à jamais l'incarnation d'une certaine perfection ... J'aurai réussi à retenir l'éphémère ».


 

Souvenirs de Marioupol

Il fait froid, sombre, les gens se recroquevillent et ne s'animent plus. L'ours est là et il n'épargnera personne, petits et grands, hommes, femmes et enfants il doit broyer, ici et maintenant. La guerre a ceci de terrifiant, que le silence de la mort et les hurlements des suppliciés, ne s'entendent qu'une fois la bataille terminée, celle de trop, inutile, prélude à la suivante encore plus brutale, massive, idiote. Dans ma main, je tiens celle, froide, de ma fille, contre moi, je tiens le corps de mon fils. Avant, la vie les habitait, leurs petites mains disaient bonjour, au revoir et rangeaient les petits cubes à leurs places. Leurs rires étaient ma raison de vivre. Ils se sont éteints, comme beaucoup ici. Ils n'ont pas été ciblés, ils ne sont que les dégâts collatéraux d'une volonté d'anéantir.

Au temps où la lumière venait du soleil et la chaleur aussi, je faisais mille choses dans le jour et d'autres quand la nuit était là, regarder la lune, m'émerveiller des étoiles, vibrer de plénitude dans l'univers avec comme seule inquiétude, que demain ne soit pas aussi resplendissant que le jour passé. Ce demain est arrivé un matin comme une lettre à la poste, simplement, déposée dans ma vie comme une facture à payer. Une fois l'avis de passage déposé, nous avons été obligés d'accuser réception,. Il n'a fait cas de rien, le sifflement dans le ciel a précédé la destruction, la tristesse, le deuil, la fin des jours heureux. La déflagration s'est installée au milieu de ce que nous avions construit, à la place de ce que nous aimions. Après les bombes, sont arrivés les hommes habillés de brun, couleur étron, aux cerveaux malades, imbus de leur impunité. Quand ils sont entrés mon mari n'a pas crié. Mon mari n'a pas eu le temps de dire. Il s'en est allé, lesté de balles et de haine farouche, fauché par des imbéciles abreuvés de discours mensongers et d'alcool frelaté. Je n'ai pas crié non plus, c'eut été en ajouter à leur plaisir, je n'ai fait que subir en les maudissant, espérant protéger mes petits de leur malfaisance, ce faisant. Ils ont violé, assassiné tous ceux qu'ils voulaient, sous les applaudissements et les vivats des autres, restés au pays pour crier victoire, le jour venu.

Est révolu le temps de l'insouciance, de la joie et de l'espoir. Est venu le temps du regret, des souvenirs douloureux dans un présent annonciateur, d'un futur triste ersatz du passé. J'ai posé la main de ma fille sur le visage de mon garçon, ainsi ils seront ensembles là-bas où nul ne sait où cela est. Deux petits êtres dont le séjour ici sur terre aura été amputé, passagers éphémères anéantis avant l'heure, à cause d'une ignominie commise par des nostalgiques d'un temps jadis, dont ils espèrent rappeler le souvenir pour y enfouir leur haine du vivant.

Le bien est synonyme d'éphémère, le mal un voyageur au long cours. Dans une vie prochaine je voudrais être le maître du temps pour savoir retenir l'éphémère et par là pouvoir espérer, que les jours heureux ne nous soient comptés.

Ils sont venus presque sans le dire, comme vient le facteur avec le courrier ordinaire, celui que l'on attend sans savoir qu'il va venir et dont on décachète l'enveloppe, la curiosité en bandoulière. Mais eux, on ne les espérait pas, la curiosité n'avait pas sa place, seule la peur et le dégoût ont armé notre résistance ou provoqué la fuite devant la haine qui habitait ces ombres mtrusives, faucille et faux réunies dans une même main ensanglantée. Ce sont eux qui nous ont enfermés dans une logique de guerre, en illogisme absolu de l'incapacité à s'entendre. Maintenant, ils nous obligent à écouter le bruit des canons et des bottes, leurs pas résonnent, les détonations nous assourdissent et à travers les champs de blé, dans leur sillage, le malheur ils sèment.

L'arrivée de la guerre a bouleversé notre existence. Amis, voisins, connaissances, étrangers nous étions. Réfugiés, victimes, cachés, effacés nous sommes. Comptabilisés nous serons. Nous sommes nombreux, trop, pauvres hères délestés d'espoir, réunis dans un espace limité, là où personne ne devrait être obligé de séjourner. Les issues sont devenues impasses, la joie est restée 'au dehors, de peur de ressembler à une imposture. Depuis que je suis enfermée ici, je ne suis plus, je ne suis plus dans la vie, même si je suis encore, ce-n'est qu'une question de temps. Etrange sensation, prise de conscience. Pour se rendre compte de ce qu'est ne plus être, il faut le vivre. De son fauteuil, de sa compassion, on ne peut que partager-la peine, exprimer l'effroi mais la souffrance vécue vous fracture et celle-ci est indicible.

Ici n' existe que le temps indéfini. Dans la vie d'avant existaitle temps long et le temps court. Le temps long est celui des civilisations, des royaumes. Quel est la durée d'un empire comparé à l'éternité? Quel est le temps d'une vie dans un royaume, fût-il céleste? Peut-on quantifier la durée sans prendre en compte la charge émotionnelle qu'elle a accumulée en sôn sein? Pourquoi le temps ne serait-il fait que de secondes, de minutes ou d'heures, définissant, par l'alternance du jour et de la nuit, le passage du temps? Le temps court est celui du présent et le présent, aujourd'hui, n'est pas un cadeau. Est-ce que le temps est le même pour ceux qui ont conscience de son évolution, caractérisée par une infinité de durées, de l'éphémère à l'éternité, à la différence de ceux qui ne le vivent que dans un instantané émotionnel, pourtant lui aussi bien réel? Le temps est devenu synonyme d'attente, attendre le répit et en attendant, courber l'échine. Combien de temps faut-il à un missile pour déchirer la paix et déposer la mort? Combien de morts faut-il pour ramener un temps de paix ?


 

Lueurs de fragments éphémères

L'astre colore déjà le ciel de teintes saumonées. Il est bientôt quatre heures au bord de ce lac de Finlande. Je ne dors pas. L'appareil photo à la main, j'attends. Et plus j'attends, plus les couleurs m'enchantent. Je sens qu'il n'est pas loin, qu'il ne va plus tarder. .. Mais quand viendra l'instant? C'est le suspense, je guette. Et tout à coup, sur la croupe des pins de la colline d'en face, le voilà qui se montre ! Il dévoile la sommité ronde de son corps de feu, il se découvre, gonfle sans discontinuer. Il monte si vite qu'en quelques secondes il se détache déjà de l'horizon terrestre et flotte seul dans le ciel. Le soleil est levé. Les couleurs sont plus fades, plus stables, pâles. L'éclat magique, la naissance du jour est terminée. Je retourne me coucher.

Cela fait tout juste quelques jours que nous échangeons, mais nous échangeons vite, fort, intensément. C'est une pluie de messages qui arrose mes journées. Une pluie d'été, tiède, douce, euphorisante. Et c'est tellement limpide. Nos mots coulent tels des torrents d'anecdotes, de partages de savoirs, de rires, d'humour et de clins d'yeux. Rien ne se perd en chemin, ni toi ni moi n'économisons nos retours, notre chaleur, ni nos sourires verbaux. C'est beau. Et je m'accroche à un nuage, je plane, suspendue dans les airs, les pieds qui balancent dans le vide. La Terre en dessous est plus jolie, bien plus jolie que d'ordinaire. Ces quelques jours elle me sourit. Tout devient soudain si léger, même moi, qui en oublie de manger. C'est donc possible de retrouver un coeur avec qui c'est un jeu fabuleux d'échanger!

Aujourd'hui enfin nous sommes ensemble. Dès le début tout est fluide, très simple. Tu picores les fruits colorés que je t'offre, tu goûtes à tout, avide de découvertes. Et c'est dans un mouvement que tu m'attrapes à la volée. Ton bras saisit ma taille, je suis stoppée dans mon élan, stoppée là devant toi. Et tu m'offres un câlin. Tu me serres dans tes bras, et je te serre aussi, de plus en plus fort. Nos souffles se font amples, profonds. L'énergie se mélange, circule de corps en corps, fourmille, crépite. Tu caresses mes cheveux, ma main plonge dans les tiens. Ce n'est que le début d'une longue après-midi mussés dans d'autres cieux. Je crois vivre en plein rêve, et tu l'incarnes enfin. Enfin ...

Si tu savais combien j'ai attendu, combien j'ai fabulé ce conte, et combien j'ai souffert de ne pas le voir s'esquisser. Si tu voyais à travers mes yeux, tout ce que tu es, tout ce que tu fais de si particulier et merveilleux, tu comprendrais. Tu comprendrais pourquoi, après ces longues tresses de mots enchanteurs, après ces heures de pur bonheur, maintenant que tu ne veux plus de moi, l'univers m'engloutit. Oui aujourd'hui j'ai trente-cinq ans, et je m'en fiche. Les larmes tremblent au bas de mes yeux, ma poitrine a glissé dans un étau. Je n'ai trente-cinq ans qu'aujourd'hui, demain déjà le temps fuira et écrasera de ses gros pas une énième frange de ma jeunesse.

Pourtant c'est dix ans de survie, que je pourrais fêter. Dix ans de vie en plus sur le calendrier, dix ans qui ont failli m'être volés. Dix ans pas toujours drôles, dix ans de luttes. Mais à travers ces dix années, ont malgré tout percé quelques lueurs de pure beauté, comme celle que tu m'as tout juste laissé le temps d'effleurer. J'aurais aimé la caresser bien plus longtemps. Mais à l'image de cette journée qui viendra si vite décliner, ta lumière était éphémère, volatile et légère, tel un instant volé.

l'essaie bien de la retenir. Évidemment, je cherche comment. Je bois des gorgées de souvenirs, des fragments irréels du rêve évaporé, et j'essaie de ne pas m'y noyer. Je cherche à en conserver la splendeur, tous ces présents, toute cette tendresse, ce dont on ne m'avait jamais fait la promesse. Je garde comme un trésor le cadeau de savoir que tu existes, que ça existes encore, que je peux être comprise, comprendre et échanger, que ça peut être simple, diaphane. Je tente de retenir l'idée de pouvoir encore aimer et être aimée, en toute entièreté. Et je chéris cette aventure, aussi furtive soit-elle, puisqu'elle m'apprend une chose essentielle: il se trouve sur ce sol condamné des êtres incarnant mes rêves délaissés.

Déjà sonne le soir. Les rayons du soleil s'inclinent sur l'horizon, Durant quelques respirations ils flamboieront et d'un seul coup disparaîtront. Ce jour sera éteint. Alors je me laisserai dériver vers des songes oubliés, dans une sphère enchantée, en réanimant le passé. Au creux de mon mirage, nous nous laisserons enivrer par les volutes pourpres du ciel et du raisin fermenté. Nos pieds feront un pas de côté. Rien n'existera plus qu'une bulle de volupté, que ces baisers offerts à nos nuques, que les frissons fiévreux de nos caresses lentes. Dans cet instant fugace, plus rien ne comptera, si ce n'est flotter, oublier l'extérieur, chasser l'avant et éloigner l'après. Il faudra déguster chaque ­seconde comme autant de mets subtils, uniques, irremplaçables. Jamais elles n'auront été goûtées avant, jamais nous ne les retrouverons. Ce soir sera divin, mais vite, très vite, viendra demain. Et la parenthèse sera close. Elle se dissoudra dans l'écume des jours, jusqu'à ce que notre mémoire, ou notre plume, peut-être la ranime.

Et quand, après tant d'années écoulées, une file indienne d'instants fugaces et précieux viendra danser devant nos yeux, telle une ribambelle de souvenirs vibrants et colorés, et que les heures restant à notre cœur seront comptées, nous observerons de si près qu'il en sera serré, à quel point éphémère notre existence aura été.


 

«éphémère»

J'écris ce poème sur ton corps, J'effleure ta peau de ma langue déliée, Baisers et caresses coulent de mes lèvres.

Entends comme elles te chantent, Chaque grain de sable, Chaque goutte d'océan, Chaque brin d'herbe

Devient poème au contact de ton ventre.

Il rit et chante!!

Tu boudes ?! « Ephémère ! », dis-tu?!

Eh bien! Je recommencerai!

Comme la goutte de pluie dans le désert, Comme la grappe de raisin dans la vigne ...

Je recommencerai!

De mon désir frais et charnu Sur ton corps j'écris ce poème.

Quel besoin d'ailleurs?

Je peux dessiner sur tes lèvres Le monde entier!

J'écris mes rêves sur ton corps; Lui au moins est réel!

Ephémère oui... !

Je ne sais où je serai demain ...


 

 

Élan fugitif

Le cœur du végétal oscille
et la tige se ploie
dans un jeu de lumière
où le décor chatoie

Fine est la texture
tremblante la matière
et l'espace impalpable
ajoute au mystère

Formes évanescentes
et silhouettes esquissées
se perdent en toiles
à l'aspect métissé

Une odeur mellifère
agace l'olfaction
et le parfum surprend
par ses évocations

Le miracle surgit.
à la périphérie
où un monde caché
frôle la féerie

Le regard ignore
l'invisible
mais le dissimulé triomphe
du tangible

Du spectacle éphémère
il ne restera rien
qu'une trace fugace
qui au matin s'éteint


 

 

De notre envoyé spécial à Fairy Land, Benjamin Grimm

Les fées mères, une espèce en voie de disparition

Depuis combien de temps n'avez-vous plus rencontré de fées? Selon un récent sondage d'opinion, c'est près de 98 % de la population qui déclare toute absence de contact avec une représentante du monde occulte et enchanté. Encore plus inquiétant, 70 % de l'échantillon affirme n'en avoir jamais entendu parler!

A l'instar de bien d'autres espèces, les fées sont clairement menacées d'extinction.

Pour évoquer ce problème, j'ai contacté le célèbre elficologue David Barrie. Il confirme les chiffres alarmistes de réduction des populations pour l'ensemble des petits êtres surnaturels.

Il incrimine le non renouvellement des auteurs, les anciennes gloires étant de plus en plus délaissées. Si les sorciers ont pu bénéficier de l'énorme impact médiatique et du succès universel de la saga d'Harry Potter, rien de tel ne s'est produit avec les Mélusine, Morgane ou Carabosse, qui sont franchement datées. Si on ajoute la disparition des territoires propices à l'exercice de leur activité, en raison de l'urbanisation et de la dégradation des milieux naturels, le cantonnement de ce type de mythe aux pays occidentaux, et le costume ringard qui fait s'écrouler de rire les ados d'aujourd'hui, la cause est entendue. Mais même chaussée de tennis dernier cri, de jeans déchirés, de tops ajustés, un casque sur les oreilles et un smartphone dans les mains en lieu et place de la baguette traditionnelle, Clochette peut-elle encore concurrencer les robots des «japoniaiseries» ou les héros de mangas ? Est-elle de taille à lutter contre les séries télévisées, les vidéos, les réseaux sociaux ?

Cette raréfaction des individus en état d'exercer leurs pouvoirs surnaturels est extrêmement préoccupante. Ici, il faut tordre le cou à une idée fausse, mais bien ancrée: les fées ne sont pas immortelles. Elles sont soumises aux cycles de la vie, et aux lois de la reproduction. Hors les fées mères sont devenues fort rares, et les naissances exceptionnelles. En témoigne la fermeture de la dernière maternité spécialisée, il y a plus de cinquante ans.

Aborder la sexualité des fées, à l'époque de « me too » et des condamnations de la pédocriminalité est un sujet délicat. Mais la question doit être posée sans détours: qui aujourd'hui pour engrosser nos petites magiciennes ?

Non, cela ne se fait pas d'un coup de baguette, et pour ce qui est des mâles appelés féetauds, il y a bien longtemps qu'ils ont déserté le terrain, et fui leurs responsabilités, dépités de leur anonymat. L'endogamie ne pouvant être remise en cause, les enchanteresses ont pris l'habitude des amitiés féminines pour combler leur besoins de tendresse. En dehors de tout jugement moral, force est de constater que cela ne contribue pas à la sauvegarde de la race. Les fées LGBT sont éminemment respectables, mais ce type de liaison ne peut donner de fruit.

Le constat d'une situation dramatique ne sert à rien, sans mobilisation pour la recherche de solutions pérennes.

Qui voudrait d'un monde désenchanté, d'un univers où toute magie serait absente? Que seraient les contes pour enfants dépeuplés de leurs plus célèbres héroïnes ?

A ces questions, une majorité de nos concitoyens répondent qu'ils sont hostiles au bannissement du merveilleux, celui la même avec lequel ils ont grandi, et qui leur a apporté plaisir et contentement. Face au péril, il importe de réagir de manière structurée, et diverses voies peuvent être explorées afin de mettre fin à la grogne et aux manifestations suscitées par le sort des fées, et l'impasse fictionnelle actuelle.

En premier lieu, il est nécessaire d'organiser un grand débat national, des assises réunissant citoyens, experts, parents et responsables, pour faire un vaste état des lieux, et envisager les mesures à prendre. Il est indispensable que les représentantes des fées soient associées aux débats, à travers leur syndicat représentatif. En cette période électorale, certains candidats à la magistrature suprême se sont déclarés favorables à la démarche, et assurent qu'ils respecteront et mettront en œuvre les propositions opérationnelles.

Informer, protéger, développer, tels sont les axes d'intervention qui se profilent, pour porter secours aux créatures de légendes.

En second lieu, il faut dés à présent lancer un appel aux écrivains, auteurs, scénaristes, réalisateurs pour qu'ils s'emparent de ce sujet de société, et nous livrent un travail «fée main». Face à la disparition annoncée d'une population essentielle, il faut réagir avec force et détermination. Si les fées ne se reproduisent plus, alors il faut en créer de nouvelles. Notre époque ne manque pas de talents, la parole est à l'imagination, mais le temps presse!

Il en va de l'avenir et de l'équilibre des jeunes générations. Mettons un peu de côté les super héros contemporains, et offrons nous des héroïnes dignes de ce nom, jeunes femmes aux charmes envoûtants, capables de renverser les situations les plus dramatiques. Condamnons les esprits terre à terre et mesquins, et laissons la place aux rêves.

Les fées appartiennent au monde merveilleux mais éphémère de l'enfance, et à ce titre font partie des trésors intemporels.L'UNESCO devrait les ajouter à la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité.

Il suffit d'observer un gamin à l'écoute d'un conte de fées, de contempler le bonheur dont il rayonne, pour être convaincu de la nécessité d'assurer une postérité à ces personnages irremplaçables.

Est-il nécessaire d'avancer d'autres justifications pour un sauvetage d'urgence?

Maintenir les fées mères à travers toutes sortes de créations et de récits, les réinscrire dans le temps long, c'est faire œuvre de salut public. Puissent les muses concernées entendre cet appel, et inspirer les productions fécondes de demain.


 

Ligne de rive.

C'est lors d'une de ces longues journées à vélo que j'avais compris ce qu'était une pensée éphémère.

Avec mon mari, nous avions décidé, comme on se lance un défi, de partir en voyage à vélo pendant trois mois. L'itinéraire avait été choisi, précis pour les deux premières semaines et adaptable pour le reste. Des décisions avaient été prises: on ne pédale pas s'il pleut, on n'hésite pas à aller à l'hôtel si on ne trouve pas d'endroit pour poser la tente. Ce voyage allait être sous le signe de la sérénité, nous avions passé l'âge de subir des galères matérielles. Nous voulions vivre la liberté de notre retraite toute récente, vivre le nez au vent, débrancher du quotidien. Le téléphone portable restait notre allier pour son GPS et pour son appareil photo mais il avait fini de sonner toutes les deux minutes.

Donc, lors d'une journée sur le vélo, certaines pensées pouvaient arriver rapides et fugaces. Elles survenaient souvent quand je fixais la ligne de rive, la bande blanche sur le côté droit de la route qui délimite la chaussée du bas-côté. « Il faudra penser à racheter du thé ! » « Je devrais vérifier la pression des pneus chaque matin! » Des pensées que je m'empressais d'oublier quand je m'arrêtais car mon intérêt devenait autre rapidement: reprendre son souffle, trouver la bonne direction, observer les nuages. C'étaient des pensées éphémères. Parfois, elles se portaient sur des personnes et je pensais à Sophie qui aurait été contente de venir avec nous, à Jean-Paul que je n'avais pas vu depuis son voyage au Pérou. Ces pensées aussi s'envolaient aussi dès que je posais le pied à terre.

Au bout de quelques jours, un autre sentiment s'imposait à mon esprit quand je pensais à ma mère. La vision d'une petite fille de 6 ans, moi en l'occurrence, assise sur le bord du lit, habillée pour sortir avec une jupe rouge et des socquettes blanches, dans la pénombre, me regardait avec des yeux tristes. Ce regard me bouleversait et je faisais une embardée en revenant à la réalité du moment. Ce phénomène se reproduisait à chaque fois que mes pensées se dirigeaient vers ma mère et à chaque fois, je me heurtais à ce regard triste. Que voulait me dire cette petite fille que j'avais été? Que signifiait cette abîme de tristesse?

Les relations avec ma mère avaient toujours été compliquées : incompréhension, autorité mal placée envers moi, sa préférence à ses autres enfants, la culpabilité qu'elle me faisait porter pour tout et pour rien. Il me semblait que j'avais subi mon enfance au quotidien et je n'en gardais aucun souvenir. 

Les journées à vélo se succédaient et je ne comprenais pas cette vision. Elle faisait partie du voyage comme une petite peluche accrochée à mon guidon. Elle m'accompagnait tous les jours et finalement je m'habituais à elle. Elle avait le droit à un bonjour tous les matins, je lui racontais quelques anecdotes parfois ouje lui confiais mes ressentiments. Ce voyage avait duré trois mois et notre cohabitation quotidienne était simple et joyeuse, mais malgré tout, la tristesse de son regard perdurait.

Un mois après mon retour, lors d'une visite à ma grand-mère, je lui racontais notre voyage, lui montrais des photos, je lui parlais de cette vision et lui demandais si elle correspondait à un véritable souvenir. Je la vis réfléchir puis elle me dit qu'effectivement, un dimanche midi toute la famille, mes parents et mes frères et sœurs, était partie au restaurant et c'est en mangeant les entrées que ma plus jeune sœur s'était aperçue que je n'étais pas. Ma mère avait même dit « Pour maintenant, on va finir de manger! ». Et voilà, j'étais restée assise sur mon lit avec mes habits du dimanche et mon regard triste d'avoir été délaissée. Ma grand-mère n'avait appris cet épisode que bien plus tard et ma mère lui avait précisé:  « Elle n'avait qu'à se dépêcher! ».

Ma grand-mère me sourit tendrement et me dit: «Les souvenirs arrivent parfois sans être convoqués. Les pensées éphémères ne sont pas toujours bonnes, il ne faut pas les retenir. Elles nous empêchent de vivre notre vie l»


 

Le temps presse !

Virgilio est de ces hommes, attachés au concret et fuyant les spéculations intellectuelles. Il a toujours avancé dans la vie, en regardant droit devant, sans trop se questionner, soucieux d'imprimer sa marque et de réaliser ses projets. C'est un bâtisseur patient et résolu, une œuvre après l'autre, porté avec assurance vers un futur qui lui a toujours ouvert les bras. Comme tout un chacun, il a connu des déboires, des vicissitudes, des doutes mais son caractère positif, sa personnalité volontaire, son attitude combative alimentés par un optimisme raisonnable sont venus à bout des embûches du chemin.

Aujourd'hui, il atteint la maturité, et se dirige benoîtement vers un horizon sans nuages, légitimement fier de ses réussites, du fruit de ses efforts. Il est reconnu dans son travail, chef d'entreprise respecté des ses salariés comme de ses pairs, et ses affaires tournent bien. Il n'a rien d'un requin, et se range dans la catégorie des patrons socialement responsables, de ceux qui ont une éthique et des valeurs. Il n'a pas la fatuité de croire que son parcours est exemplaire, il sait avoir commis quelques erreurs mais globalement il n'a pas à rougir de ses actes. Sur le plan personnel, il mène une vie de famille enviable, avec une épouse épanouie, et des enfants qui ont poussé sans problèmes au sein d'un foyer uni et protecteur. Ses revenus et son patrimoine, dont la magnifique villa construite sur les hauteurs de sa cité natale qu'il n'a jamais quittée que pour de brefs séjours, le mettent à l'abri du besoin. Bref, il est un homme assis, épanoui, sûr de ses choix, qui jouit de sa situation en toute bonne conscience. Il ne craint pas l'avenir, il est installé dans la durée, il croit à la pérennité des choses

D'où vient alors ce sentiment diffus d'inconfort, qui le taraude de plus en plus souvent, et qu'il n'a confié à personne. Comme un secret honteux qu'il traîne après lui, de plus en plus mal dissimulé. Un venin subtil qui vient empoisonner son existence. Est ce l'avancée en âge qui le conduit à appréhender le caractère illusoire de tout acquis? Une crise existentielle qui impose une vision distordue de la réalité? Est-il menacé par une inattendue dépression liée à une lucidité déstabilisante ?

Désormais, il perçoit le précaire, le provisoire, le fugitif là où tout semblait inébranlable et destiné à perdurer! Le dur se lézarde, le stable vacille, et les tentatives d'endiguement tournent court. La temporalité se dérobe, les durées deviennent relatives. Au final rien ne demeure, tout s'achève à plus ou moins long terme, les civilisations comme les étoiles, les hommes et leurs ouvrages, les productions matérielles et les créations naturelles, les constructions élaborées comme les générations spontanées.

Il en est bouleversé, désemparé et ignore vers qui se tourner pour calmer cette anxiété qui ne dit pas son nom. Une pensée de Tristan Bernard le nargue: « il ne faut compter que sur soi-même et encore pas beaucoup ».11 a essayé de lutter contre l'angoisse du périssable, de traiter le mal par la dérision ou la rationalité, pour fmalement reconnaître la vanité de l'entreprise. Puis il a capitulé face à la fugacité étourdissante de l'univers.

Il prend alors une décision surprenante au regard de ses comportements habituels. Tout laisser pendant quelques temps, quitter son monde pétri de certitudes confortables et partir vers d'autres cieux à la recherche d'une compréhension plus large, d'approches différentes. Il doit casser sa routine, ses habitudes, et s'éloigner de ce qui l'empêche de voir et de comprendre. Seul, livré à lui même dans un contexte étranger et déroutant, il espère pouvoir briser les murs aveugles qui bornent son regard. « Pour aller où tu ne sais pas, tu dois prendre le chemin que tu ne connais pas» lui murmure sa conscience.

Virgilio invente des pseudo raisons à son départ, pour ne pas inquiéter son entourage. Nul n'en est dupe, mais ses proches, comprenant qu'il s'agit d'un besoin impérieux et non d'un caprice, ne font pas obstacle au projet. Si le retour à l'équilibre est à ce prix, laissons le aller, voilà ce qu'ils se disent.

Il s'embarque sur un cargo à destination de l'orient. Pourquoi cette destination? Une intuition, son instinct qui le guide à présent. Le temps de la traversée est un temps étiré et nécessaire. Seul face à la mer, aux vagues et aux lames sans cesse renouvelées, la tête perdue dans les nuées fuyantes, le corps secoué de nausées, il sent sa conscience s'éveiller à des perceptions et concepts qui ne lui sont pas familiers. Il navigue sur un élément liquide, instable et jamais immobile. Toujours semblable, et toujours différent. Chaque journée ressemble aux précédentes, mais demeure unique. Dans l'univers océanique, on ne peut s'appuyer sur rien de solide, de fixe ou de durable. Et pourtant, on y avance, on trace sa route sans s'accrocher à ce qui est appelé à disparaître très vite.

Virgilio tangue, mais le roulis n'est pas seul en cause; c'est tout son être profond qui oscille et balance. En souriant, il se dit qu'il est atteint par «l'effet mer», et retrouver un peu d'humour lui fait du bien.

Quand la côte apparaît, puis le port où il quittera le navire, il n'est plus tout à fait le même et d'anciennes évidences sont parties en fumée. Il foule alors une terre inconnue, se laissant imprégner par la nouveauté des sonorités, des parfums, du spectacle du quotidien. Il n'a pas de but précis, et laisse l'errance décider de ses pas. Les journées passent, s'achèvent et se détachent telles les pages d'un éphéméride délaissé. En ces lieux, il n'est plus tenté de saisir, happer, s'approprier, garder, conserver. Il se sent comme une page vierge, sur laquelle aucune impression ne résistera. Il ignore de quoi demain sera fait, quelle place sera la sienne, mais curieusement aucune crainte n'accompagne cette prise de conscience. Il expérimente l'ici et maintenant, le présent. Il n'est plus dans la course du temps, n'a plus le souci du passé ou de l'avenir. Il rencontre des sages et s'initie à l'impermanence des choses, à la beauté de l'instant, en renonçant à toute captation illusoire. Vouloir retenir l'éphémère serait comme égrener le sable du désert, arrêter la course des nuages ou dénombrer les gouttes de pluie.

Accepter la fugacité et l'évanescence, lâcher prise, ne plus contrôler, sont autant d'attitudes éloignées de sa philosophie d'antan. Tout au plus pratique-t-il quelques pauses, afin de savourer les infimes bonheurs journaliers.

Au terme de son périple, il se sent dépouillé, délesté et apaisé. Tout peut s'arrêter d'un moment à l'autre, mais il a le sentiment d'être bien plus vivant qu'à son départ. Il n'y a pas lieu de renoncer à tout ce qui faisait son existence, mais son regard a changé, ses attentes sont différentes. Ses possessions n'ont plus grande signification, il a soif d'authenticité et d'intensité. La confusion des pensées désormais dissipée, il envisage paisiblement d'aborder un nouveau chapitre de son histoire.

Oui, toute vie est éphémère à l'image des insectes ou des fleurs du même nom, qui ne vivent que quelques heures, une journée tout au plus. Cette brièveté en fait la beauté et le prix. Se battre contre cette réalité conduit à une impasse. La joie est dans l'instant, et non dans la durée. Vouloir immortaliser quelque moment que ce soit n'a guère de sens au regard de la fuite du temps.

Virgilio est de retour chez lui, avec une lumière nouvelle dans les yeux, et un sourire en provenance du cœur. Il reprend le cours de sa vie, fort des découvertes et convictions intimes qu'il partagera avec qui est prêt à l'écouter et à discuter. A ceux la, il offrira le témoignage d'un homme intègre et bienveillant, et non l'affirmation dogmatique d'un gourou condescendant.

Et pour qui rêve encore de longévité, de persistance, d'infinité, il rappellera avec légèreté cette sentence d'un humoriste: «l'éternité, c'est très long, surtout vers la fin».


 

Concours d'écriture

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Le thème choisi :

«  RETENIR L'ÉPHÉMÈRE ».

semble avoir inspiré beaucoup d’entre vous et nous offre la joie de lire vos textes.

Les textes sont consultables ICI.

Dès la délibération du jury effectuée, le palmarès sera publié ICI

 

MERCI à tous les participants

Les textes: 1. Aux sens figurés - 2. Désert - 3. Glorp! - 4. Vidar

 

AUX SENS FIGURÉS

Ce jour-là, alors que la Cour s'était rassemblée pour la cérémonie du dévoilement, chacun put se rendre compte au premier regard que l'empereur Rodolphe n'était visiblement pas dans son assiette bien que celui-ci s'efforçât, néanmoins, de faire bonne figure. D'ailleurs, son entourage, déjà accoutumé à ses accès de mélancolie autant qu'à son goût pour les chimères, craignait secrètement que, pour achever le tableau, sa pomme ne lui restât en travers de la gorge ou pourquoi pas - car avec beaucoup d'imagination tout était possible - au beau milieu du visage.

L'héritier des Habsbourg avait, en quelques années, fait de Prague la capitale des arts et des sciences. Une de ses grandes fiertés était sa chambre des merveilles, cette Kunstkammer dont tout le monde enviait la richesse et la diversité. Toutefois, il avait en effet pris le risque de devenir à son tour, et à ses dépens, un objet de curiosité depuis qu'il avait accepté de prêter sa physionomie à celui dont l'inspiration si singulière avait le don de s'exprimer dans la luxuriance.

Il faut dire qu'avec ce drôle de peintre venu d'Italie il fallait s'attendre à tout et l'on pouvait tout aussi bien craindre le grotesque qu'espérer le sublime, à moins que ce ne fussent les deux à la fois. Ses débuts d'artiste autrefois formé à l'école des vitraux, lorsqu'il travaillait avec son père à la cathédrale de Milan, lui avaient permis de se forger une réputation. Esprit créatif et ingénieux, il avait su gagner la confiance de l'empereur en enrichissant les cabinets d'arts et de raretés auxquels celui-ci tenait par-dessus tout, comme à la prunelle de ses yeux. Le mécène faisait grand cas de son protégé, au point qu'il lui avait délégué l'organisation des têtes princières dans l'espoir de rehausser encore l'éclat de la maison impériale.

Mais, dans l'immédiat, le peintre s'était mis en demeure de verser sur la toile tout ce que son imagination fertile était capable de produire lorsqu'elle se mettait en mouvement pour révéler et exprimer son originalité. Il s'était aussitôt mis à l'œuvre en ravivant, ainsi qu'il savait si bien le faire, l'exaltante palette des sensations afin d'insuffler la vie au portrait. Un peu au-dessus des épaules et du cou, là où s'étageaient les formes hivernales du chou, du poireau ou du navet, les bogues de châtaignes, quant à elles, donnaient au menton un air automnal de qui sy frotte sy pique. Tandis que les cosses de petits pois réservaient leurs féconds craquements en attendant leur ouverture, le torse, de son côté, s'était paré d'une noble écharpe de fleurs aux parfums printaniers. Pour couronner le tout, une opulente composition de grenades, de figues et de grappes de raisins magnifiait le port de tête en suggérant la saveur juteuse des fruits d'été.

Ce jour-là, donc, l'empereur Rodolphe, qui n'était visiblement plus dans son assiette, s'efforça, nez en moins mais désormais pourvu d'une poire en plein milieu du visage et de cheveux en épis, de faire bonne contenance puisqu'il se retrouvait à son corps défendant au centre des regards. Des regards stupéfaits, interloqués, médusés lorsque se découvrit à la vue de l'assistance le portrait de l'empereur en Vertumne qui, avec sa profusion de fruits et de légumes, semblait avoir été engendré, sous l'effet d'un enchantement, par une corne d'abondance.

Cependant, peu à peu, les murmures confus s'estompèrent pour faire place à un silence respectueux en présence de cette caricature baroque qui, miraculeusement, prenait aux yeux de tous les traits d'un hommage fleuri. Et chacun s'abandonnait maintenant à la contemplation de cette savante métamorphose végétale qui portait en elle-même la signature du peintre, cette insigne nature des quatre saisons réunies en un seul être, cette signature reconnaissable entre toutes, celle d'un art épanoui dans tous les sens du terme, l'inimitable signature de Giuseppe Arcimboldo.

 

DESERT 

Sable à perte de vue 
Silence assourdissant 
Route qui n'en finit plus 
Chameaux juste devant 

Sable aux couleurs ocrées 
Qui file entre les doigts Tapis moelleux aux pieds 
Dans ce désert sans voix 
Sans un parfum de fleur 

Rien ne vient troubler l'air 
Seul un enfant qui pleure 
Dans les bras de sa mère 
Qui marche sans répit 

Tous près de son troupeau 
En attendant la nuit 
Pour trouver le repos 
L'oasis n'est pas loin 

Il faut marcher encore 
Marcher jusqu'à demain 
Marcher jusqu'à l'aurore 
Oasis de fraicheur 

Fruits gorgés de soleil 
Indiquant enfin l'heure 
De trouver le sommeil 
Sous la tente touareg 

A l'abri du grand vent 
Caché derrière un erg 
La tempête évitant 
Les sens dessus dessous 

L'essence du firmament 
En mêlant tout à coup 
Le lait avec le sang.

 

Glorp!

Nous sommes le premier avril de l'an Covid 2. Confiné, sous couvre-feu et vacciné.

C'est le moment de participer à un concours d'écriture! Ni une, ni deux et ni trois non plus, je participe au concours intitulé "Ecrire l'art dans tous les sens ». Prenons la plume! C'est parti pour écrire  "l'art» dans tous les sens: Lar't, Tra'l, L'rat, Atr'I, Rtal'. Cela me semble un peu facile ... et complexe ... remplir deux pages avec ça ? Peut-être ont-ils voulu dire autre chose. Il faut que je trouve un sens à ce qui est énoncé. Mais quel sens? Un sens au sens de direction? Dans ce cas, quel sens donner? Cela ne peut être le Sud puisque je perdrais le Nord. Ni l'Est car je serai, dans ce cas, à l'Ouest. Quelle direction choisir pour donner du sens au sens, sans heurter la sensibilité dont est pourvu, sensément, tout lecteur? De direction sans sens, changeons pour le sens des sens! A mon sens, cela peut être.

Mais quel sens, l'ouïe? La musique peut d'un soupir de triolet donner sens à l'expression artistique, qu'elle est censée être. Du bout des doigts, d'une lèvre tremblante ou d'un souffle léger et inspiré, la musique éveille nos sens, caresse nos tympans de sons chargés de poésie et d'une envolée, sublime notre sensibilité. Sauf à la laisser partir dans tous les sens.

La vue? La peinture au sens artisan ou tableau de maître? Appliquer un trait d'union, des couleurs, porter plus haut l'image relève du domaine de l'expression artistique. Pour autant il ne suffit pas de tirer un trait, de colorer ou de s'imaginer artiste, pour que soient dévoilés les talents. Il y faut un quelque chose d'indéfini, pour que le geste ordinaire prenne sens, et devienne une expression artistique. Nous pourrions le définir comme étant d'inspiration divine, une affinité particulière et, pourquoi pas, une façon de s'exprimer hors du commun des mortels, vivants. Voyez le tableau, le premier coup de pinceau nous invite, le deuxième esquisse ce dont le rêve sera fait. Car il s'agit bien d'une forme de rêve. Un rêve éveillé en prélude à la réalité. L'art est cet élément tangible et irréel que vous pouvez accrocher au mur, toucher de vos doigts, ranger dans votre cœur. Emporté sans qu'il ne pèse, ne vous encombre, il peut vous rendre insouciant et même vous faire chanter sous la pluie. Mais il est surtout cet intrus heureux, cet élément insaisissable, dont le volume à géométrie variable, permet à vos sens de se délecter à bon escient. Quel est l'étendue de L'art, quels sont ses domaines de prédilection? Pouvons-nous savoir avec certitude, à quel niveau d'exécution se situe l'Art ?

L'art de la guerre, pratiqué avec ardeur depuis la nuit noire des temps, serait une expression artistique? Théâtre d'exécutions savamment orchestrées, aux canons de la beauté explosives, ou emblème de l'incapacité à s'entendre? Ce qui expliquerait la présence du clairon à piston, au sein de la grande muette.

Est-ce que les Arts de la table peuvent en être? Transversaux car représentés en nature morte, sonorisés par un orchestre de légumes, mais est-ce de l'art ou du cochon? L'Art étant ce qui nous réunit, en permettant à tout un chacun de s'exprimer à façon, exit le cochon! Ce qui nous ramène au sens. La conduite automobile oblige à prendre des décisions et une direction. Une direction n'a de sens, que par le travail des subordonnés chargés de l'exécution des tâches. Ils ne peuvent donc être peintres. C'est du bon sens.

L'orientation du ministère de la culture, interdit de confondre la pratique amateur et professionnelle. L'Art ne serait seulement artistique que si vous en êtes rétribué d'argent sonnant et trébuchant? Qui pourrait se prévaloir d'être artiste alors? Avez-vous déjà écouté le son du virement bancaire, trébuché sur le montant? En descendant de votre piédestal? Tout cela n'a aucun sens.

Tout comme l'Art plastique. Le plastique ne peut être un art, car il passe au lave­vaisselle. Avant d'être confondu, jeté sur la place publique pour y subir l'opprobre de la populace, la plastique était femme. Sa plastique et la frustration masculine, en firent une pièce de choix pour toutes sortes d'exhibitions, que la femme n'a jamais pu utiliser à son avantage. Perdue au passage par les historiens, elle en subit encore aujourd'hui les conséquences en Art déco. Dans le mauvais sens du terme. Il faudra rendre à Cléopâtre, à terme, ce qui n'a jamais appartenu à César. Qui eut été mieux inspiré d'aller aux thermes, sans passer par le forum.

A mon sens, écrire l'art dans tous les sens, ne peut être que l'œuvre d'un artiste dont le parcours artistique en Arts plastiques, Arts premiers, Arts martiaux, Art tout court en long et en large, est l'expression d'un attachement au sens du mot « Art », dans sa fonction première; « Eveiller, toucher, provoquer, donner du sens à la vie ». Je vais faire brûler un peu d'encens et appeler un collègue, parce que tout seul, je ne me sens pas. Je me sens incapable de trouver du sens au sens. Ecrire sans censément sentir le sens unique* dicté par le sens des mots, est un non-sens. A mon avis.

* Sens unique: 1 Voie ne supportant la contestation, dont le but est de vous faire perdre le sens de l'échange. 2 Voie de non-retour. 3 Voir: impasse.

 

VIDAR

Hugo, mon compagnon, est un pro de réalité virtuelle, c'est son job. Nous nous sommes connus enfants, notre jeu favori consistait à rêver ensemble de notre futur et s'imaginer de multiples aventures. Chacun renchérissait, rajoutait un élément de décor ou de vie, nous finissions parfois dans les profondeurs de la terre, ou dans les nuages, mais Hugo était toujours le prince charmant qui venait me sauver de multiples péripéties. Avec l'adolescence et la découverte des jeux vidéos, notre univers s'est élargi. Nous passions des soirées fantastiques. Tout naturellement, notre passion s'est épanouie dans l'art immersif et nous partageons des moments sublimes.

Malheureusement aujourd'hui, corvée d'invitation chez sa sœur et son ami. Comme je le pressentais, le repas est savoureux, il relève de l'art culinaire, mais l'ambiance est morne. Marie-Cécile est une star de l'esthétique, une œuvre d'art à elle seule, en harmonie dans son écrin, sa villa standing au mobilier design, ses vêtements haute-couture, son maquillage assorti à sa tenue, la couleur de son gloss avec celle de ses cheveux et ses chaussures. Bien sûr, son conjoint, Charles-­Henri a la chemise et la cravate s'accordant à l'ensemble, sans oublier les chaussettes ! La conversation porte, bien sûr, sur la visite de la dernière exposition du plus célèbre artiste en vogue, Marie-Cécile a tout un vocabulaire élaboré pour qualifier des croûtes grotesques et moches, des sculptures informes ou une cacophonie grinçante, enfin, tout cela à mon goût. Je n'ose répliquer et exprimer mon ressenti tant je me sens étrangère à son univers artistique. Certes, cultivée, elle est capable de disserter pendant des heures sur des théories confuses et incompréhensibles avec un vocabulaire affecté et obscur, mais où l'authenticité de l'expression semble absente. Je préfère le babillage de mon fils de quatre ans, commentant avec amour ses gribouillis. Avec le dessert, il yale passage en revue de tout ce qui est dans la « mouve » comme elle aime à le dire. La mine pâle et déconfite d'Hugo m'amuse et m'attriste à la fois, il subit le supplice sans oser se rebeller. Je sens qu'un jour malgré tout, ça explosera entre eux. Le sentiment filial est plus fort que l'expression sincère du ressenti. Charles-Henri intervient peu, il s'amuse face aux attitudes de Marie-Cécile, elle est sa muse, elle l'admire, le porte aux nues, c'est un dieu de l'art et elle veille jalousement sur lui.

Charles-Henri est un artiste, un vrai, c'est sa profession. Il a fait les beaux-arts puis s'est investi dans l'art industriel. Marie-Cécile, de son vrai prénom Caroline, a adopté son univers lors de leur union, elle s'y est totalement et complètement intégrée. Elle ne vit que par et dans l'art. Charles­Henry est très fier de ses créations alliant des connaissances mathématiques, architecturales et technologiques avec un style très avant-gardiste. Je dois reconnaître qu'il y a une certaine beauté dans ses œuvres. Son discours sur celles-ci, bien qu'un peu pompeux, est attrayant, il donne vie à ses constructions, il s'emballe et est intarissable sur chaque détail. Je me prends parfois au jeu, j'éprouve du plaisir à l'écouter et arrive à percevoir le sens de ses créations et de son art. Mais, ce qui m'attire le plus, c'est sa marotte. A ses heures perdues, il crée des œuvres originales à base de certains matériaux de récupération. Son atelier ressemble à une caverne d'Ali-baba. On y trouve de tout. La visite n'est autorisée qu'à certains, heureusement, Hugo et moi sommes acceptés. On pénètre dans un monde mystérieux, un silence nous enveloppe. Charles-Henry tourne la clé ouvrant ce domaine insondable, et, une cinquième dimension apparaît, on y flotte, tous les sens en éveil, le temps est suspendu, une forme de réflexion s'illumine entre mélange de créations imaginaires et d'objets animés. On ressort de cette exploration désorienté mais tonifié •. vivifié. Enfin, le plaisir provoqué par la plongée dans l'antre de Charles-Henry compense la morosité du repas. Marie-Cécile n'apprécie pas le débarras de son conjoint, elle n'en partage pas l'intérêt ni le sens. Finalement j'ai un peu pitié de Marie-Cécile d'autant que je sens que son mari flottant dans son aura d'artiste, une jeune nouvelle égérie peut la détrôner prochainement.

Effectivement, trois mois après notre dernier repas ensemble, Hugo m'apprend que Marie-Cécile est désespérée, son époux disparaît de plus en plus souvent du domicile.

Surprise, un soir en rentrant, je découvre Marie-Cécile étendue sur le canapé. Bien que toujours élégante, il y a quelque chose de changé dans son apparence, des cernes s'entrevoient habilement camouflés sous le maquillage. Sous son air classe, une tristesse émane de sa personne.

Nous échangeons sur sa situation, son désespoir, ses compétences, son avenir. Au fur et à mesure, de nos rencontres, je découvre une Marie-Cécile qui peut être plutôt une vraie Caroline. Ôtant son fard et son apparat, il lui reste la culture durement acquise. Sa personnalité, dégagée de son désir de femme d'artiste, a émergé, plutôt sympathique. Avec le temps nous avons des conversations passionnantes. Caroline a des ressources intérieures insoupçonnables. Après une période de détresse, elle reprend vie peu à peu.

Un jour, elle m'annonce déserter la demeure luxueuse et artistique de Charles-Henry, le quitter lui aussi par la même occasion, et, émigrer à l'autre bout de la France. Cette distance géographique a entraîné un éloignement certain entre nous. Une petite carte postale de loin en loin, quelques échanges téléphoniques plutôt insipides, elle construit sa vie dans un autre monde.

L'autre jour, en passant devant la librairie, j'aperçois la photo de Marie-Cécile, c'était elle mais pas vraiment. Dans le doute, j'entre, sur le comptoir, un livre, «moi, l'artiste» de Caroline-Marie-­Cécile. C'est bien elle. J'achète le volume, je l'ai absorbé d'une traite, passionnant. Elle narre une histoire proche de la sienne, somme toute banale, une femme délaissée par son conjoint, mais avec originalité et poésie, elle glisse son approche de l'art et son changement de regard. L'art appréhendé sous l'angle de la culture à laquelle se mêle la sensibilité, et enfin la découverte de la beauté intemporelle. La technique de l'écriture est maîtrisée. Elle suscite une réelle émotion dans sa transcription. Elle a transcendé son triste vécu en une œuvre d'art. Une création qui me touche profondément ainsi que de nombreux lecteurs à en croire le succès du roman.

Finalement l'écriture de cette Caroline, c'est de l'art au sens propre!

2021 court lettrage Affiche

La suprême magie

Il était une fée qui prenait son repos,
Après avoir fini sa tournée des berceaux,
Lorsque soudain toqua une vieille sorcière
Pour la solliciter, plaintive et grimacière.
« J'aimerais tant, dit-elle, aller dans ce château
Où l'on danse plaisamment au rythme du flûteau !
Mais il faut forcément pour être admise au bal
Se présenter masquée en air de carnaval !
Or je ne connais point les règles de l'élite
Occupée que je suis, le nez dans mes marmites !
Vous avez maintes fois sauvé des cendrillons
En métamorphosant leurs pauvres cotillons,
Ayez un peu pitié de ma situation,
Puisque je souffre fort de ma réputation !
- Pourquoi vous déguiser ? lui répondit la fée,
Votre seule apparence y fera son effet :
Venez comme vous êtes en habits de sorcière
Qui par leur disgrâce vous mettront en lumière,
Car n'est-ce pas magie que de se faire passer
Pour ce qu'on est vraiment sans être déguisée ?
Nul besoin d'ornement, non plus de poudre aux yeux,
Pour connaître ce soir un succès prodigieux ! »

N'ayant lors d'autre choix que de lui faire confiance
La sorcière salua avec reconnaissance,
Et puis se présenta tout en haut du perron
Non sans appréhender un retour de bâton.
En guise de succès ce fut une victoire
Qui lui fit savourer l'ivresse de la gloire :
On la félicita, on lui fit compliment
D'avoir eu tant d'audace en cet accoutrement.
Elle était à coup sûr bien plus vraie que nature
Dans ce déguisement qui avait fière allure !
Quelle fabuleuse idée était-ce de venir
En tenue de sorcière hideuse à défaillir,
D'avoir si bien imité son aspect repoussant
Jusqu'à lui emprunter son rictus menaçant !
Aussi le lendemain notre vieille édentée
S'empressa de trouver la bienveillante fée,
Pour la dédommager d'avoir fait des merveilles,
En lui faisant présent d'une soupe d'oseille.

Épris de naturel et de simplicité
Vous en retiendrez donc cette moralité :
Les sorcières d'antan et les fées d'autrefois
Ont gardé tous ces charmes qui nous laissent pantois,
Ainsi que les secrets de tous leurs sortilèges
Dont les simples mortels n'auront le privilège,
Sans regret ni envie, parce qu'en vérité
La suprême magie est l'authenticité.

texte écrit par 23.CCL.Anonyme23

Le début d'une histoire

« Chaque fois qu’un enfant dit : « Je ne crois pas aux fées », il y a quelque part une petite fée qui meurt ». Il adorait cette phrase tirée du livre « Peter Pan » de James Barrie, son livre fétiche depuis tout petit. Depuis, il rêvait d’être écrivain célèbre, conteur de magie et de fantaisie. Mais pour le moment, à part le vent glacial qui s’engouffrait dans sa minuscule pièce à vivre nichée sous les toits
de Paris, il n’avait pas beaucoup avancé dans la vie. Il avait déjà plusieurs fois essayé de franchir le monde réel pour passer dans l’Autre. Il avait essayé l’opium et même l’absinthe car il avait entendu dire que cela faisait apparaître des fées vertes. Mais rien n’y faisait. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’à sa naissance ce n’était sûrement pas des fées qui s’étaient penchées sur son berceau
mais plutôt des trolls véreux et pernicieux...
À trop penser à sa pauvre vie désastreuse, il n’avait pas prêté attention aux grosses gouttes de pluie qui commençaient à transpercer sauvagement le toit que lui servait de refuge. Son livre préféré se retrouva trempé en quelques secondes ; trop tard pour le sauver. L’encre avait coulée et le livre était gorgé d’eau. De rage, il l’envoya s’écraser contre le mur et toutes les feuilles volèrent dans la pièce.
Cette fois, s’en était trop. Le poids de ces dernières années laborieuses et solitaires l’écrasait. Il se recroquevilla dans un coin de la pièce et se mit à pleurer. Ses larmes tombèrent sur des pages volantes devenues papier mâché. Soudain, les lettres se mirent à scintiller. Il ferma les yeux, pensant à une hallucination. Cependant, lorsqu’il les rouvrit il n’était plus dans sa chambre. Il était assis par terre, au pied d’un majestueux saule pleureur. L’herbe sous ses pieds était soyeuse, d’un vert
éclatant, tout comme la couleur des fleurs, des arbres et du ciel atour de lui.
Il lui semblait qu’il était dans un rêve tellement tout était beau et féerique...
Soudain, il sursauta. Il n’avait pas vu les deux petites créatures qui lui faisaient face. L’une était une sorte de petit troll grassouillet avec un gros nez rond et des yeux globuleux. L’autre était une jolie fée, ondulant l’air avec ses petites ailes dorées qui faisaient danser ses cheveux acajou. Tous deux lui arrivaient à peine aux genoux mais ne semblaient pas effrayés. Au contraire, ils le contemplait en
souriant. Lui-même, et malgré le fait de de ne pas savoir où il se trouvait n’éprouvait bizarrement
pas la moindre peur...
Le troll prit la parole le premier :
- Alors c’est lui le morveux qui pense qu’on est véreux ?
- Morveux ? Excusez-moi...monsieur tenta-t-il, j’ai bientôt trente ans !
Les deux créatures éclatèrent de rire. La fée, qui avait une jolie couronne de fleurs sur la tête parla d’une voix douce :
- Tu en as mis du temps pour venir. Ne pleures-tu donc jamais ?
Pleurer ? Pourquoi diable cette fée sortie de nulle part lui demandait-il s’il pleurait ? Il se gratta la tête, se pinça, s’écarquilla nerveusement les yeux pensant être en train de rêver. Rien n’y fit.
- Que... quoi ? Mais qui êtes-vous ? Et où suis-je ?
Le paysage avait beau être féerique, la situation commençait à l’agacer.
Les deux créatures se rapprochèrent : « Il n’est pas très futé » entendit-il dire le troll à la fée.
Elle prit à nouveau la parole :
- Tu es un... messager. Comment crois-tu que les contes de fées ont-ils pris vie dans votre monde ? Penses-tu vraiment que cela sort de l’imagination des humains?  Non, c’est nous qui choisissons quelles histoires sont racontées dans vos livres, et qui les écrira. Si vous les élus, êtes assez sensibles pour pleurer un jour, vos larmes vous amènent ici. Elle deviennent magiques. Votre sensibilité et votre croyance, c’est votre épreuve pour arriver jusqu’à nous. Certains ont échoué. Toi
tu as mis... un peu de temps, dit-elle dans un clin d’œil.
- Alors, je suis vraiment digne de devenir écrivain ?
Son cœur s’allégea. La situation le dépassait et pourtant au fond de lui, quoique cela puisse être, il sentait qu’elle disait la vérité et que c’était son destin d’écrire un jour.
- Bien sûr ! D’où penses-tu que vient cette obsession pour notre monde ? Nous t’avons choisis dès la naissance. Ton destin est d’écrire nos aventures, nous te donnons seulement un petit coup de pouce. Si le peuple humain ne croit plus en nous, nous cesserons d’exister...
Cette dernière phrase lui rappelait celle de son livre préféré. L’auteur de ce dernier s’était t’il déjà tenu ici avant d’écrire « Peter Pan » ? En son for intérieur il en était persuadé alors il décida de garder cette pensée positive pour lui . La fée, imperturbable, continuait de parler :
- Pour survivre, il nous faut sauvegarder l’imaginaire et le rêve chez les humains. En retour, votre vie est remplie de féerie. Nos deux mondes s’entraident à mieux vivre... mais cela doit rester secret.
- Mais comment pourrais-je écrire sur vous si je dois garder ça secret ?
Les deux créatures se regardèrent, puis la fée claqua des doigts et brusquement, il s’endormit. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il était de nouveau dans sa pièce miteuse, sous les toits de Paris. Il avait l’impression d’avoir dormi des heures, mais d’avoir fait un joli rêve. Le soleil avait reparu, il pouvait sentir sa douce chaleur à travers les tuiles pleines de trous et de mousse. Ses yeux se posèrent sur son livre favori. Bizarre. Il était sûr que ce dernier était tombé en friche lors du violent orage. Mais quand avait eu lieu cet orage ? Et comment son livre pouvait-il être intact ?
Il avait du mal à se remémorer les dernières heures. Le livre semblait différent . Il le prit dans ses mains et soudain son cœur s’accéléra. Il y avait toujours la même image féerique imprimée sur la couverture mais le tire avait changé. Il pouvait désormais y lire :
« Tome I : Chroniques & aventures du peuple de Lumis », par Thomas Kurt.
Il avait écrit son premier livre. Enfin... presque !

texte écrit par 21.CCL.Anonyme21

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