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Ailleurs, l'herbe est toujours plus verte.

Non mais c'est pas vrai ! Qu'est ce qui s'est passé ici ?
Enfin, ce qui s'est passé ... je le sais bien mais je ne le crois toujours pas.
Depuis ces jours où nous sommes dé-confinés, on ne voit plus personne. Avant, ou plutôt pendant les mois de confinement, c'était ville morte, mais ça c'était normal. Il arrivait que l'on voit des personnes en promenade, qui prenaient l'air, ou en route vers quelque chose. Même que nous nous saluions en se croisant à distance respectable, et c'était tout naturel. Dans l'ordre des choses. Chacun respectait une saine prudence. Provisoire. Une sorte de parenthèse dans une routine qui nous pesait pour certains, et méritait une remise en question pour beaucoup. Tout le monde espérait une amélioration à partir du jour d'après : sociale, économique, politique, écologique, mondialiste, humaniste, et même plus encore. 
Pendant ces quelques mois que tous nous avons supportés, plus ou moins bien, mais toujours avec beaucoup de discipline, d'angoisse ou d'impatience, notre contexte quotidien a muté sournoisement, parfois avec notre contribution active, et toujours en total inconscience.
On est parvenu à ce jour d'après, puis à ses lendemains. Et de ces espoirs, qu'en est-il advenu ?
Ça ?

Nécessité faisant loi, et pour de bonnes raisons pensait-on alors, nous avons réalisé à grande vitesse une individualisation, un contrôle du maximum de fonctions.
Tout est désormais suivi, tracé, enregistré au moyen des téléphones portables dont la possession individuelle est obligatoire à partir de l'âge de collège selon des modèles homologués.
Le travail s'exerce maintenant par principe à la maison, au moyen d'équipement informatique de pointe. Là aussi ils sont référencés par les entreprises et administrations pour répondre aux besoins techniques indispensables. Ceci au frais du salarié, ainsi que pour les coûts de connexion en câblage et réseaux, ce qui a boosté les entreprises du secteur. Cette délocalisation des emplois a conduit à une dérégulation sociale dans son organisation ainsi qu'à une ségrégation professionnelle selon le mode d'exercice de son travail.
Les emplois ne pouvant être effectués à distance sont considérés comme étant inférieurs et sont plus coûteux, car ils nécessitent des infrastructures pour les exercer. Les employeurs et services publics font le maximum pour les réduire. Ceci a entraîné une grande vague de destruction d'emploi, malgré la forte reprise qui a succédé à la crise sanitaire.

La disparité géographique des victimes de la crise, couplée avec les difficultés de transport qui en ont résulté, mais aussi à la généralisation du télétravail ont provoqué une totale refonte de la répartition de l'habitat. Les urbains à emplois supérieurs, ont envahi les zones rurales préservées, ce qui a débouché sur une dégradation de l'environnement, une ségrégation immobilière et sur des concentrations de population précaire à proximité des lieux d'employabilité locale.
Un chômeur doit rechercher activement en permanence et à partir de chez lui. Il est contrôlé à distance et peut l'être par communication vidéo directe à tout moment. D'ailleurs toute relation avec des services publics ou avec des activités connexes telles que banques, assurances, prévoyances, etc, est devenue exclusivement numérique, virtuelle et robotisée.
Fort de l'expérience des limites rencontrées par les structures médicales, leurs prestations sont au maximum assurés à distance par des téléconsultations, des protocoles pré-établis, des robots de diagnostics, des télétransmissions de prescription et livraisons pharmaceutiques directes à domicile, tout ceci bien entendu en fonction du niveau des assurances souscrites au préalable.
La totalité du commerce a revu son organisation afin de proposer ses produits à distance, en e-commerce de proximité, avec liste standard de précommande et livraison automatique de réapprovisionnement en produits les plus courants. Les commerces référents se sont équipé de robots autonomes pour assurer la distribution sans contact. Le reste subit un surcoût considérable lié à l'organisation spécifique du transport. On s'est bien vite aperçu de la disparition des petits commerces locaux qui n'ont pas eu les capacités à se doter des structures adéquates.
Les services à la personnes ainsi que la restauration sont fournis directement à domicile, ou dans des locaux individuels indépendants, avec précommande livrée prépayée. Tous les cabinets, salons, bistrots et petits restos ont disparu des quartiers. La vente d'alcool et de tabac réglementée est distribuée selon des abonnements et un calendrier judicieusement mesuré.
L'acquisition et le renouvellement des biens de consommation sont fermement incités au moyen d'un échéancier et de barèmes combinant avantages et pénalisations pécuniaires afin de redévelopper la production de préférence nationale et de ré-injecter les revenus dans l'économie.
Les autorités ont mis en place tout un réseau de télésurveillance par veille numérique, capteurs, caméras, drones, brigades, patrouilles, et réseaux de délateurs afin de contrôler à tout moment la situation de chacun à être autorisé à agir comme il le fait. A cette fin, tous les individus sont identifiés à partir de leur téléphone dont l'absence ou le défaut de fonctionnement entraîne une lourde sanction.
Les responsabilités politiques et administratives ont été tellement déléguées aux niveaux des territoires que nous assistons à une régionalisation des pouvoirs. L'application des décisions globales générales est déclinée au travers d'un cloisonnement local dans une intrication de pyramides aux obédiences parfois contradictoires.
Toutes ces mesures, et j'en passe beaucoup, ont été prises progressivement mais à un rythme soutenu durant quelques mois afin d'établir les obstacles au retour d'une propagation d'un fléau comparable et potentiellement pire, voire même intentionnel. De même, la paralysie de l'économie ayant été une conséquence de l'impréparation de nos sociétés à ce type d'agression, son organisation s'en trouve désormais abritée. En tout cas, le pense t-on.
A chaque étape, une campagne de communication a promu ces mesures en convaincant les citoyens de l'intérêt qu'ils trouveraient à se protéger ainsi. De même, les partis et syndicats contestataires ou opposés ont été progressivement marginalisés en leur reprochant un parti pris idéologique irresponsable sans veiller à la sécurité et à l'intérêt des citoyens.
Finalement, lorsque l'accumulation de cet arsenal est apparu inacceptable à certains, plus aucun individu ni organisation ne possédait encore de capacité d'intervention démocratique.

Un voyageur ayant séjourné dans l'espace pendant cette année de crise sans en avoir entendu parler, ne reconnaîtrait pas sa civilisation, dans celle castratrice qu'il retrouverait aujourd'hui. Isolement, disparition des liens sociaux et dissolution des liens familiaux.
Surveillance de chaque instant, pression liberticide, rues vides dans des villes mortes.
Déshumanisation totale, sous le prétexte de protéger la santé humaine !

Je m'enfuis.
J'ai préparé tout ce que je peux emporter avec moi dans un sac à dos.
J'ai repéré un itinéraire qui emprunte les voies ferrées locales désormais vides de tout trafic. Elles sont faciles à suivre, assez discrètes, proposent souvent des possibilités d'abri et sont un peu à l'écart des points de surveillance, si on sait être furtif. Mais il faudra redoubler de prudence.
Je vais m'éloigner des secteurs urbanisés, pour atteindre d'autres lieux préservés de ces pressions où pourraient se regrouper ceux qui comme moi n'envisagent pas de vivre ce qui nous est imposé.

 Ou du moins, je l'espère !