La moto était là, posée près de la boîte aux lettres.
Le conducteur l’avait bien garée, sur le bas côté de la route. Elle attendait.
L’arbre, solitaire comme elle, la couvait d’une ombre bienveillante.
Il y avait plusieurs jours qu’elle était arrêtée, à l’écart de la route 66, près de cette boîte aux lettres abandonnée. Trois, quatre, cinq jours et personne pour venir la récupérer.
Elle n’avait même pas d’antivol, comme si son propriétaire l’avait posée pour un temps très bref, le temps de se soulager ou se reposer sous l’arbre un court moment.
« Si elle est encore là demain, j’appelle le shérif ».
Irina s’inquiétait. Elle s’était déjà arrêtée, avait tourné autour du véhicule, scruté l’horizon.
Rien n’indiquait une présence, les herbes brûlées n’étaient pas hautes et ne semblaient pas avoir été foulées.
On ne la discernait pas de la route mais cela faisait bien longtemps que plus personne n’habitait dans la vieille ferme au bout du chemin de terre et alentour pas d’autres maisons, pas d’abris, rien que des plaines à perte de vue.
A proximité, l’étendue sauvage de la Route 66, en plein coeur du Texas, traversée par des camions, des voitures, des hordes d’Harley Davidson conduites par tous les touristes venus parcourir cette route mythique mais personne ne s’arrêtait jamais là.
Et justement, le fait que cette moto ne soit pas une Harley avait déjà un caractère étrange.
Irina parcourait tous les jours ce tronçon aride avec son bus de ramassage scolaire et n’avait jamais vu personne à cet endroit précis.
Le conducteur était-il tombé en panne ?
Mais, dans ce cas, il aurait déjà du revenir.
On ne laisse pas une belle moto comme celle-ci sans surveillance des jours entiers.
Non décidément, ce n’était pas normal.
D’un autre côté, si le propriétaire avait disparu, Irina songeait au plaisir que Jo prendrait à conduire un si beau cylindré...
Elle hésitait.
Qui préviendrait-elle en premier ?
Simone Delorme

 

Les plus beaux voyages...

Elle est là, rutilante, au bout du petit chemin de terre. Elle m'attend. Depuis des mois, on se prépare toutes les deux pour ce grand voyage. Je l'ai briquée. J'ai vérifié tous les niveaux, changé toutes les pièces qu'il fallait. J'ai réparé l'éclairage, réglé les rétroviseurs, fixé les sacoches de voyage, gonflé les pneus. J'ai même refait sa peinture. Du rouge, pour qu'on nous remarque de loin.

Une fois que j'en ai eu fini avec elle, je me suis occupée de moi. J'ai rangé mes affaires, en ai glissé quelques-unes dans les sacoches pour le voyage. J'ai tout nettoyé, fermé les volets. J'ai écrit quelques lettres pour prévenir ceux qui comptent pour moi que je vais partir. J'ai étudié les cartes, les plans. J'ai voulu apprendre quelques mots des langues de chaque pays que l'on va traverser. J'ai imaginé des itinéraires, des paysages, des routes, des grands espaces. J'ai confié le chat à ma voisine. J'ai vidé le frigo.

Aujourd'hui il est l'heure. Tout est prêt mais je traîne. Ai-je vraiment envie d'enfourcher ma moto pour faire ce tour du monde ? Ai-je vraiment envie de laisser là mon quotidien tranquille. Je suis prête mais j'hésite.

Mon corps et tout mon être sont tiraillés entre deux envies :
partir ou rester ? Rester ou partir ?

En un instant j'imagine le pire : la panne, le vol, la guerre, l'accident. Je veux y aller mais je ne bouge pas.

Je m'assois sous l'arbre, au bout du chemin. Et si les plus beaux voyages étaient ceux que j'imagine.

Véronique