Assise dans mon fauteuil, seule dans ma chambre, coincée dans ce corps trop encombrant, je n'en 
peux plus, je vais hurler, je veux sortir, m'évader, m'enfuir, vivre.
Mais aucun son ne sort de ma bouche, sinon, j 'aurai droit à une piqûre calmante qui m'abrutira 
pendant trois jours. Je deviendrai ainsi un corps mou, inerte et baveux.
J'essaie de me lever pour aller à la fenêtre, au moins prendre un peu d'air pur, admirer le cerisier 
habillé de ses fleurettes roses si légères et odorantes, écouter les oiseaux piailler entre ses branches, 
être dans la vie, quoi
Mes jambes ne m'obéissent plus, si j 'insiste je me retrouverai par terre, quelques heures sur le 
plancher avant que l'infirmière ne me découvre. On me fera la morale, et on m'attachera sur mon 
siège, dans mon intérêt, comme ils disent !
Mon désir de m'évader du quotidien monotone, n'est pas nouveau. J'ai toujours eu mes stratégies. 
Déjà en classe, lorsque l'enseignant égrainait sa leçon imbuvable, mon esprit voltigeait à mille lieu 
hors de la classe, et ainsi, je quittais le cours, détendue et heureuse. Une autre méthode qui m'a bien 
réussi, c'est l'occupation manuelle. C'est dingue comme se consacrer au dessin, au tricot, à la 
cuisine ou même passer l'aspirateur, absorbe l'esprit. Concentrée sur la tâche, l'ennui disparaît, 
mais l'énergie absorbée par l'action limite celle de l'échappée qui reste médiocre.
De toute façon, je ne peux guère faire grand-chose de mes dix doigts, maintenant, à part provoquer 
une catastrophe. Je renverse mon verre une fois sur deux en tentant de le saisir, et parfois, en 
prenant ma fourchette, mon assiette s'écrase au sol sans que j'en saisisse vraiment la cause.
Ma fuite préférée, c'est la lecture, je m'évade dans le texte, je suis le personnage concerné, j' évolue 
dans sa contrée et à son époque. Je vis un nombre incalculable d'aventures passionnantes, amasse 
une multitude de connaissances générales et gagne certaines réflexions.
Le livre est une fenêtre ouverte sur l'au-delà de ma vie.
Mais maintenant, mes yeux sont trop fatigués pour dévorer quelques pages d'écriture.
La télévision reste ma seule distraction accessible. Je passe le temps vautrée dans mon fauteuil, 
l'oeil rivé sur un écran à avaler des images sonores. Cela me fatigue, m'abrutit, je ne fixe guère 
d'idées intéressantes et n'adhère à aucune histoire malgré le nombre impressionnant de séries qui 
défilent.
Il me reste le rêve, je m'évade en pensée. J'appelle les souvenirs, je dois m'en méfier. Certains sont 
explosifs, trop heureux. C'est douloureux à l'extrême. Je voudrais tant revivre un instant ces 
moments de bonheurs entourée de personnes disparues. Il y a ceux que j'ai gravés dans un coin de 
mon cerveau pour toujours, pour les apprécier plus tard. Mais ce plus tard devient trop tard. Ils sont 
floutés par mes larmes qui coulent abondamment, les visages effacés par le temps, et le vécu 
estompé par l'usure. Heureusement, il m'en reste certains que je peux aborder sans crainte. Encore
